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être proscrite, parce que la détermination du salaire et des autres conditions du travail est soumise à des « lois nécessaires, » comme tous les autres phénomènes sociaux. Pour certains économistes, les lois naturelles font partie d’un plan providentiel et tendent d’elles-mêmes à l’harmonie ; pour les autres, la marche des faits est fatale et irrésistible, parce qu’elle est la marche de la nature même, que nous ne pouvons changer et devons laisser faire.

Les socialistes ont dénié à cette conception des économistes tout caractère scientifique. Il y a pourtant une interprétation plausible du « laissez faire, laissez passer ; » et c’est celle des anciens économistes classiques. Ils ne voulaient nullement dire : — Laissez faire des injustices, laissez passer des fraudes. Ils voulaient dire : — Que l’Etat n’intervienne pas dans le travail, dans la production libre, et qu’il la laisse faire ; qu’il laisse ensuite passer les produits du travail sans les charger d’impôts, de droits de toutes sortes, de prohibitions et d’entraves légales. C’est par un évident abus des termes qu’on a parfois soutenu que l’État devait tout laisser faire et tout laisser passer. Les vrais économistes n’admettent pas une telle licence. Il n’en est pas moins certain qu’ils ont fini, comme les socialistes le leur reprochent, par donner au laissez faire une interprétation qui le rapproche de la « lutte pour la vie. » L’économisme individualiste, s’appuyant surtout sur l’idée d’intérêt, n’a-t-il pas représenté, après Malthus et Darwin, la concurrence économique comme une face de la concurrence vitale ?

Le sociologue peut accorder qu’il existe des lois économiques indépendantes des institutions humaines, et que le socialisme a le tort de méconnaître. Nos volontés ne sauraient abolir ces lois ; elles doivent seulement les tourner à notre profit, comme elles y tournent la pesanteur par les ballons qui semblent d’abord échapper à la pesanteur même. On obéit aux lois de la nature, dit Gœthe, même quand on cherche à leur résister ; on travaille avec la nature, même quand on veut agir contre elle. Mais parmi les lois de la nature se trouvent aussi les lois de l’esprit, qui ont précisément ce caractère et cette force de pouvoir modifier les autres. En outre, parmi les lois de l’esprit se trouvent celles de l’esprit collectif, de l’esprit social, qui peut se diriger lui-même par ses idées-forces. C’est, selon nous, l’objet propre de la sociologie.