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qu’elle excite et entretient. Les grèves finissent par être des cérémonies cultuelles où les actes de violence sont sanctifiés. De même, le sabotage et le boycottage prennent la forme de rites : massacrer sa besogne ou mettre une usine à l’index, voire au pillage, deviennent des œuvres pies, parce qu’elles ont pour but l’intérêt sacré de la classe prolétarienne.

La méthode du socialisme actuel, comme celle des religions, est moins une étude de ce qui est que de ce qui devrait être. Elle expose moins des faits et des lois que des règles ou normes de conduite ; elle est, comme on dit, normative. Or, une sociologie vraiment scientifique renvoie toute idée de règle à la fin seulement de ses recherches ; elle étudie d’abord ce qui est et en induit avec précaution ce qui peut être, puis ce qui est désirable et doit être. C’est ainsi qu’elle devient une sociologie réformiste. Le « désirable, » d’ailleurs, peut être tel à une foule de points de vue différens : juridique, moral, intellectuel, économique, biologique, etc. Tous ces points de vue doivent être d’abord distingués les uns des autres, puis ordonnés hiérarchiquement. C’est à la sociologie et à la morale qu’incombe la tâche de déterminer l’idéal régulateur dont les sociétés doivent se rapprocher. Déclarer à l’avance et a priori que cet idéal sera socialiste, ou individualiste, ou toute autre chose, sans en avoir préalablement critiqué la valeur intrinsèque, sans avoir vérifié la direction réelle des sociétés dans son sens, c’est toujours faire du symbolisme religieux, non de la « science. »

Par le côté qui regarde non plus les idées, mais les faits, la méthode actuelle des socialistes est, comme l’est aussi celle des économistes exclusifs, purement empirique. On sait que la vraie méthode expérimentale procède par l’observation rigoureuse et complète de tous les faits, puis par l’expérimentation directe ou indirecte, au moyen de l’histoire, de la statistique, des données sociologiques, etc. La méthode empirique, au contraire, — comme l’appliquent le plus souvent les hommes politiques, conservateurs ou novateurs, — considère un petit nombre de faits auxquels s’attachent les préférences individuelles ; elle procède par tâtonnement, par essais qui réussissent ou ne réussissent pas, non par une expérimentation régulière. La médecine empirique de nos socialistes, pas plus que celle de nos économistes, n’est la médecine expérimentale de Claude Bernard ; elle ne peut pas s’intituler scientifique.