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papillon sortant de la chrysalide. Mais les économistes leur opposeront que la discontinuité est apparente, que l’enfant est préformé dans le sein de sa mère, le papillon dans sa chrysalide, que la nature ne fait point vraiment de « sauts, » ce qui supposerait des effets inadéquats à leurs causes. Toutes ces analogies auraient besoin, pour être scientifiques, d’être ramenées à leur vraie portée et resserrées dans leurs limites. Il est plus vite fait, sous couleur de science, d’employer des métaphores d’aspect scientifique, de présenter des comparaisons inexactes comme des raisons.

La méthode du socialisme actuel est doctrinaire et souvent intolérante. L’esprit de maint collectiviste est aujourd’hui identique dans le fond à l’esprit fanatique ; même prétention à la domination universelle des esprits et des corps : una fides, una ecclesia. Hors de l’église collectiviste, point de salut. Aux socialistes on peut répondre : Oportet hæreses esse ; il est nécessaire qu’il y ait des dissidens, des individualistes ennemis du conformisme universel, des libertaires, des Zarathoustras, si l’on veut ! Aristote a eu raison de dire que l’universel est vide ; à force de vouloir atteindre l’universel bien-être, on risque de laisser les gens mourir de faim, comme, pour vouloir produire par autorité l’universelle vertu, le catholicisme du moyen âge affaiblissait les volontés individuelles.

La méthode autoritaire et despotique qui procède à coups de décrets n’a rien de commun avec la science et, en particulier, avec la sociologie. Ce fut celle des révolutionnaires du XVIIIe siècle, imbus de l’esprit des Rousseau et des Mably, ayant la superstition de l’État et de son omnipotence, persuadés que la volonté de l’homme peut changer ex abrupto la société. Or, s’il est faux de prétendre que nous ne pouvons rien pour modifier l’ordre social par nos idées-forces, il est également faux que nos idées-forces puissent, sans se soumettre aux conditions du déterminisme actuellement existant, produire des transformations magiques. La société est comme la nature : pour lui commander, il faut d’abord obéir à ses lois : imperare parendo.

La plupart des socialistes de notre époque ont encore les préjugés anti-scientifiques et anti-sociologiques du XVIIIe siècle sur la bonté naturelle de l’homme, sur la toute-puissance qu’aurait la raison humaine si les institutions sociales ne la détournaient de ses voies naturelles. Ils sont portés à croire que tous