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nullement que tous les paradoxes d’aujourd’hui soient les vérités de demain. Cet honneur n’appartient qu’à un seul, qui est la « pointe subtile » dont parle Pascal. On a mille chances pour une de mettre à côté. Ce n’est pas en cherchant le paradoxe qu’on trouve la vérité cachée, mais en développant dans leur vrai sens les vérités visibles. Ni les mathématiques, ni la physique ne procèdent par paradoxes, pas plus qu’elles ne procèdent pas paraboles et hyperboles.

Non seulement la méthode des socialistes actuels est contraire à la science en général, mais, plus particulièrement, elle est contraire à la science morale. La justice, en effet, veut que nous ne présentions pas à ceux qui souffrent des constructions en l’air comme des certitudes, des remèdes problématiques comme d’infaillibles panacées. Elle veut que nous cherchions, dans le présent, à améliorer leur sort et à sauvegarder leurs droits. Outre qu’il n’est pas conforme à la sincérité de dépasser ses prémisses dans ses conclusions, il est contre la justice de prêcher le renversement des moyens actuels d’existence et de progrès, si critiquables soient-ils, sans savoir de science certaine par quoi on les remplacera. Il y a là une responsabilité que tout homme juste doit envisager avec terreur. Autant le sociologue doit désirer les réformes, autant il doit craindre des cataclysmes dont nul ne peut prévoir les conséquences. Pour ne pas reculer devant l’emploi éventuel de la force, « du fer et du sang, » il faut être aussi machiavélique et sceptique qu’un Bismarck, aussi fanatique qu’un Torquemada.

Tout dogmatisme aboutit d’ailleurs au fanatisme. Rendre les hommes heureux et vertueux malgré eux, voilà le problème dont tout fanatisme, religieux ou social, prétend posséder la solution. Quand un croyant se laisse aller, lui aussi, à l’irritation et aux anathèmes, quand il menace de tous les maux ceux qui ne pensent pas comme lui, il assume d’avance, sans s’en douter, la responsabilité des bûchers, des massacres et des guerres. Que dire des révolutionnaires qui divisent la société en deux classes, les propriétaires voleurs, les prolétaires volés, et qui poussent les uns contre les autres ? Ils ne voient pas que sur eux retombera le sang versé. Apres avoir lutté contre les sauveurs et honni les Bonapartes, ils emploient leurs procédés. Eux aussi se donnent comme des sauveurs ; eux aussi veulent « sortir de la légalité pour rentrer dans le droit ; » eux aussi admettent que la fin