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Le premier dogme essentiel du socialisme est la lutte des classes. La grande tradition française avait vu dans la société l’union et la sympathie en vue des idées universelles ; l’école allemande de Marx y voit une bataille de castes pour la possession des biens matériels et elle sacre souveraine la caste « prolétaire. »

La lutte des classes existe assurément sur un grand nombre de points. Le mérite de Louis Blanc et de Marx est d’avoir mis ces points en lumière, non sans d’énormes exagérations. Mais, en premier lieu, la lutte des classes n’est qu’un cas particulier de la lutte universelle et de l’universel antagonisme des intérêts. Les individus rivalisent et luttent entre eux aussi bien que les classes, qui elles-mêmes ne font que totaliser les luttes individuelles. Que dire des luttes entre les nations ? En second lieu, la lutte universelle tient aux nécessités mêmes de la vie, à la concurrence pour l’existence, pour le bien-être et le bonheur. Comment donc le socialisme matérialiste espère-t-il la supprimer par un simple arrangement des mécanismes sociaux, dont la direction serait désormais confiée à la société ? Croire qu’il suffit d’abolir la propriété privée pour supprimer la lutte entre les égoïsmes, n’est-ce pas méconnaître la racine profonde des rivalités humaines ?

Enfin et surtout la lutte n’est, pour le sociologue, qu’un aspect des relations sociales, non le seul ni le plus important. Un autre aspect essentiel est la solidarité et, en particulier, celle des classes. Nous sommes tous solidaires avant d’être rivaux et plus que nous ne sommes rivaux. Des trois grandes sphères de l’économique, production, distribution et consommation, la première est le principal domaine de la solidarité. Ne sommes-nous pas tous intéressés à ce que la production des richesses de toutes sortes soit aussi abondante qu’il est possible ? La rivalité ne commence véritablement qu’avec la distribution en vue de la consommation, cette dernière étant, de sa nature, individuelle. S’il n’y a pas d’abord des biens à partager, nous ne nous disputerons pas pour la répartition. Tous les antagonismes sont ainsi précédés de liens de solidarité, même dans l’ordre matériel. Que serait-ce si nous passions à l’ordre des choses intellectuelles et morales ? C’est ici que nos vrais intérêts ne font qu’un. La classe prolétaire n’a donc, à aucun point de vue, le droit de s’ériger en antagoniste absolue de la classe possédante. Ici