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grossiers instrumens de grands desseins, en qui le devoir se réduit à accepter d’avance le risque de verser leur sang pour « la veuve de Windsor à qui la moitié du monde appartient. » Mais, en attendant l’heure, ils sont capables de tous les tours, aussi à l’aise dans la brutalité que dans l’indélicatesse. Hier ils maquillaient un chien, — l’infernal roquet du sergent de cantine, — et le vendaient à une élégante rastaquouère aux lieu et place de l’angélique Rip, le fox-terrier de la colonelle, qu’elle avait eu l’audace de convoiter et la prétention de se faire livrer en fraude par l’honnête Learoyd, savamment circonvenu[1]. Aujourd’hui ils jettent à l’eau un noble lord, afin de le repêcher d’abord, ce qui ne peut manquer d’être une opération avantageuse, et aussi et surtout pour qu’il ne puisse pas mettre à exécution son projet incongru de les passer en revue un jeudi[2].

Ce sont de vrais garnemens, dont nous ne savons ce qu’il adviendrait s’ils n’étaient maintenus, contenus, soutenus par l’esprit de corps, la vie commune, une solidarité étroite, transcendante à leur intelligence et plus forte que leur volonté. Le régiment est une famille, où il y a des dévouemens simples et admirables. Tel celui de la vieille Pummeloe, qui fut héroïque, avec sa fille Jhansi, durant une épidémie de choléra. Elle y laissa la vie, mais le régiment adopta la petite, dont Mulvaney se constitua d’office le protecteur et le champion, jusqu’au jour où il la maria avec un caporal, sans permettre au fiancé par persuasion de tergiverser[3].

Les soldats aiment leurs officiers et ne se défendent point de quelque familiarité envers ces supérieurs dont ils vivent tout près, — il s’agit ici, ne l’oublions pas, de l’armée coloniale ; — ils regardent complaisamment leurs mérites et plaisamment leurs faiblesses, toujours enclins, les vétérans surtout, à considérer leur savoir tout frais et leurs théories apportées des écoles avec le scepticisme indulgent et quelque peu railleur que donne la supériorité de l’expérience et de la pratique. Cela n’empêche pas la discipline, d’ailleurs, d’autant que celle-ci ne procède point tout entière des règlemens et des sanctions, mais puise le meilleur de sa force dans la force même des choses, dans la réalité de la vie militaire, la longue habitude professionnelle, le

  1. Private Learoyd’s story (SOLDIERS THREE).
  2. The Three Musketeers (PLAIN TALES FROM THE HILLS).
  3. The Daughter of the Regiment (ibid.).