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enfans sont déjà des hommes. C’est à ce titre surtout qu’ils nous intéressent ; c’est sous cet aspect qu’il faut les regarder pour les comprendre. Ils sont destinés à nous montrer ce qu’est le véritable petit Anglais, typical boy, ou plutôt ce qu’il doit être avant de devenir un homme selon le cœur de M. Rudyard Kipling, un homme comme il en faut beaucoup à l’Empire. Wee Willie Winkie, « officier et gentleman, » est élevé par son père le colonel Williams dans le sentiment et les habitudes de la discipline. Quand il a été sage pendant une semaine, il reçoit la paye de bonne conduite ; quand il a été méchant, on le prive de son galon. Wee Willie Winkee est souvent privé de son galon, car il est l’enfant terrible, adoré du régiment, redouté des poules, les jambes couvertes d’égratignures, le visage plein de son, les cheveux coupés militairement. Il est fidèle dans ses amitiés ; or, il est l’ami du lieutenant Brandis, qui est le fiancé de miss Allardyce, et il les a vus s’embrasser, et il a compris que c’était leur secret qu’il ne fallait révéler à personne. Un matin qu’il est aux arrêts, il voit de la terrasse miss Allardyce s’aventurer à cheval « de l’autre côté de la rivière, » là où demeuraient « les Mauvais Hommes. » Entendez qu’elle franchit la frontière et passe chez les Afghans. Il n’hésite pas, rompt ses arrêts, descend en toute hâte, fait seller son poney et galope derrière la jeune fille, qu’il rejoint au moment même où, tombée avec son cheval, elle s’est foulée la cheville. Comment il tient tête aux Mauvais Hommes, jargonne dans leur patois, discute leurs menaces, fort du sentiment qu’il est de la race dominatrice, sûr d’ailleurs que le « éziment » viendra le chercher, puisque le poney est retourné au bungalow, c’est ce qu’il faut voir dans le détail d’une histoire contée avec infiniment de saveur et de pittoresque. On ne sera pas surpris d’y apprendre que le colonel fut fier de son fils et que le lieutenant le déclara un héros. « Je ne sais pas ce que ça veut dire, répliqua Wee Willie Winkie ; mais il ne faut plus m’appeler Winkie. Je suis Percival William Williams. » M. Rudyard Kipling ajoute, en manière de conclusion : « Et c’est de cette façon que Wec Willie Winkie entra dans sa virilité. » Nous ajouterons nous, en manière de commentaire, que le personnage avait six ans[1].

Il serait tout à fait oiseux de disputer sur la vraisemblance.

  1. WEE WILLIE WINKIE.