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Siska, les charmes honnêtes d’une petite fiancée que Kobus a laissée au moulin ne pèsent pas lourd. Cette Siska est une affreuse gourgandine. Elle est richement entretenue par un vieux richard ; et, comme elle est d’ailleurs amoureuse de Kobus, elle lui réserve la situation d’amant de cœur, inacceptable, comme on sait, pour un jeune homme de bonne famille. Révolté, Kobus poignarde l’entreteneur de Siska. Et Siska enthousiasmée, en vraie fille des boulevards extérieurs de Harlem, se sauve avec lui auprès d’une bande de corsaires à laquelle elle est vaguement affiliée. Tout de suite d’ailleurs elle lâche son petit rapin, meurtrier d’occasion, pour l’apache professionnel. Nous sommes sur la grève d’où le bateau pirate va démarrer cette nuit même. Deux groupes. D’un côté, Kobus et son ami Dirk. D’un autre côté, les bandits et la fille de joie. Coups de feu. Le bon Dirk reçoit la balle destinée à Kobus. C’est l’agitation et le vacarme du roman d’aventures.

Et maintenant en plein lyrisme romantique. Le personnage qui est en réalité le héros de la pièce, beaucoup plutôt que le frêle et timide Kobus, celui en qui l’auteur a mis toutes ses complaisances, le type de prédilection auquel il a fait honneur de toutes les ressources de son art, c’est Dirk. Il en a fait d’abord un gueux, non pas un gueux de naissance, mais un gueux par goût et par vocation, tombé de déchéance en déchéance dans la sainte bohème, ou, si vous préférez, grandi jusqu’à elle. Ivrogne, joueur, bretteur, pilier de tavernes et autres mauvais lieux, c’est le truand à la trogne enluminée, au verbe haut, à la déclamation joyeuse, fier de sa gueuserie comme un autre César de Bazan. Dans ce déclassé vous ne doutez pas que toutes les délicatesses de l’âme, toutes les générosités du cœur ne se soient réfugiées. Il a pris en affection le doux Kobus. Il a été attiré, lui, le drôle, par cette innocence. Il s’est institué son protecteur. Il s’est établi son père d’adoption. Giboyer ambitionnait d’être le fumier sur lequel croîtrait ce lys : le fils de Giboyer. Pareillement Dirk pour Kobus. C’est pourquoi il a une première fois sauvé la vie à son protégé en recevant pour lui la balle du corsaire. Mais à ces âmes de terre-neuve, un sauvetage ne suffit pas. N’oublions pas en effet que l’honnête Kobus a sur la conscience la « gentillesse » d’un meurtre, comme disaient les contemporains de Brantôme. La maréchaussée bat les chemins, munie d’un bon mandat d’amener et de tout ce qui s’ensuit. C’est avec la police à ses trousses que l’enfant prodigue rentre au moulin paternel. Il risque fort, à peine rentré au gîte, d’y être très proprement