Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi d’Espagne. Je comptais que le point d’honneur espagnol s’élèverait contre cette intervention[1]. »

Thile ne fit pas mystère de sa réponse. Il la répéta aussitôt à Loftus[2], l’ambassadeur anglais, puis successivement aux ministres étrangers qui vinrent l’entretenir de l’événement. Comme un soldat qui exécute une consigne, il redit imperturbablement à tous que « le gouvernement prussien répudiait toute responsabilité à l’égard de la candidature du prince Léopold, et qu’elle ne pouvait être l’objet de communications officielles entre les gouvernemens[3]. » Cette réponse fut immédiatement communiquée et accentuée à Londres par l’ambassadeur prussien Bernstorff. Il vint voir Granville et lui dit « que le gouvernement de l’Allemagne du Nord ne désire pas se mêler de cette affaire ; qu’il laisse à la France le soin de prendre les mesures qui lui conviennent, et que le représentant de Prusse à Paris a reçu l’ordre de s’abstenir de s’en occuper. Le gouvernement de l’Allemagne du Nord n’a pas le désir de susciter une guerre de succession ; mais, s’il plaît à la France de lui faire la guerre à cause du choix d’un roi fait par l’Espagne, un tel procédé de sa part sera la preuve de ses dispositions à faire la guerre sans motif légal ; d’ailleurs, il était prématuré de discuter la question tant que les Cortès n’avaient pas pris la décision d’accepter le prince Léopold comme roi d’Espagne. »

En même temps, commençait en Prusse une campagne de presse savamment organisée. Bismarck donna pour instructions que le ton des feuilles officielles et semi-officielles restât très réservé, mais que tous les autres journaux, non connus pour être sous son influence, tinssent le langage le plus insolent et le plus offensant contre la France et son gouvernement. Ces articles inspirés par Bismarck, écrits par Lothar Bûcher, étaient envoyés de Varzin à Busch pour être insérés[4].

Toutes ces manœuvres, Ottokar Lorenz en convient[5], plaçaient Gramont dans un embarras extrême : quoi qu’il advînt, l’Empire était acculé, par l’attitude de Bismarck, au bord du

  1. Souvenirs de Bismarck, t. II, p. 93-97.
  2. Loftus à Granville, 6 juillet.
  3. Granville à Lyons, 8 juillet. — Granville à Loftus, 15 juillet. — Loftus à Granville, 16 juillet.
  4. Morisz Busch, Tagebuchblätter, t. I, p. 32.
  5. Chaque fois que je le pourrai, je ferai juger par les Allemands eux-mêmes les faits que je raconterai.