Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à mes espérances, qu’on comptât pour quelque chose les débuts difficiles et douloureux d’une carrière qui pourra peut-être me distinguer et qu’on aplanît d’autant les difficultés, en m’épargnant mille petites contrariétés journalières et en me procurant les moyens matériels de travailler avec suite, avec fruit !… »

Quand, une première fois, il s’échappe, quinze jours, pour se donner une vue de l’Algérie, il doit cacher son voyage et ne le déclarer qu’après qu’il a été fait. Quand il revient au foyer, il retrouve son père « sérieux et froid. » Entretiens divers, assez cordiaux ; « mais pas un mot de peinture, du Salon, etc. Seulement ma mère m’a dit à la dérobée que mon père avait été blessé que je vinsse ici sans lui rien apporter, que je songeasse à vendre ma peinture avant de lui en avoir offert le moindre échantillon… » Il arrange les choses, ou à peu près ; mais enfin « c’est lui qui met de l’ombre dans toute la maison. »

Jusqu’en 1848, quand il a vingt-huit ans, on lit, dans des lignes un peu obscures, mais qui ne m’en paraissent que plus douloureuses, qu’il est encore un sujet de trouble et d’angoisse pour les siens. On l’a recueilli pendant la tourmente de 1848 ; il est à La Rochelle : « J’aurais accepté la position temporaire qui m’est faite à la condition d’employer profitablement ce temps d’exil, je dirais d’emprisonnement s’il ne s’agissait de la maison de mon père… Toutes les privations, tous les embarras, toutes les détresses de ma vie sont devant mes yeux comme un reproche et une menace. Je suis le propre artisan de tous ces tourmens. Je refuse à ma mère un repos, un bonheur dont elle aurait tant besoin. Les jouissances matérielles, la considération, l’honneur, la fortune plus large me sont bien indifférens ; mais j’ai tué mon repos et tué mon bonheur. » — On n’a peut-être jamais trouvé plus d’épines au nid.


III

Sa vocation fut entravée encore, comme j’ai dit, par un grand amour d’adolescence et de première jeunesse qui devait lui inspirer plus tard une œuvre admirable, mais qui l’absorba, l’assombrit ou contribua à l’assombrir, le confina dans la prison des « lourds et tristes rêves, » comme dit Heine, tant que vécut celle qui en fut l’objet et même plusieurs années après. Disons