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devoir, mais, à la façon aussi de la plupart des diplomates de ce temps-là, ne sachant pas que le premier soin d’un ambassadeur est d’apprendre, quand il l’ignore, la langue du pays où il va résider. A peine arrivé à Pétersbourg, Bismarck achetait une grammaire et se mettait à étudier le russe ; il avait fait de même à Paris. Benedetti séjourna plusieurs années à Berlin sans s’imaginer qu’apprendre l’allemand lui serait utile et que les meilleures informations sont celles saisies dans la rue, dans une conversation surprise entre habitans du pays. Il excellait néanmoins à suppléer à ce qui lui manquait de ce côté par une aptitude toute particulière à épier, supposer, deviner ; là encore il ne se garantissait pas assez d’un autre penchant que j’appellerais le défaut diplomatique : une crédulité naïve qui faisait succéder aux soupçons la confiance la plus illimitée. Au demeurant, homme distingué, d’une physionomie intelligente, claire, de manières aimables, sans trop d’empressement, d’une conversation captivante, sans fracas, d’un esprit délié, apte à se glisser entre les fissures des événemens, versé dans l’art d’exposer, d’argumenter, sachant au besoin dire des choses désagréables sans devenir désagréable lui-même, et, en résumé, bon diplomate auquel on pouvait en toute sécurité confier une mission difficile.


IV

Bismarck n’avait pas été troublé de l’explosion de la colère française ; il l’avait prévue et désirée. Notre déclaration chatouilla un peu son amour-propre, mais ne le fit pas sortir de son immobilité. Il ne s’en plaignit pas, ne demanda aucune explication et attendit. Jusqu’à la réunion des Cortès du 20 juillet et à l’élection de Léopold, il ne comptait pas sortir de cette attente. L’envoi de Benedetti à Ems lui apporta sa première inquiétude. Le Roi, éloigné de lui et rapproché de son ennemie la reine Augusta en séjour à Coblentz, s’abandonnerait à son aversion pour la guerre : ses soixante-treize ans s’effrayeraient de compromettre les lauriers de 1866 ; il n’était entré qu’à regret dans l’aventure, il en ignorait les dessous… Ne se montrerait-il pas trop conciliant et ses condescendances n’allaient-elles pas détruire le plan si péniblement échafaudé ? Il écrit aussitôt : « Je prie Votre Majesté de ne pas traiter avec Benedetti, et, s’il devient