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qu’il revêtait et disant à Harpagon : « Est-ce à votre cocher, monsieur, ou bien à votre cuisinier que vous voulez parler ? car je suis l’un et l’autre. — C’est à tous les deux, » répond Harpagon. Nous aussi nous disions au maître Jacques royal, tantôt chef de famille, tantôt roi : C’est à tous les deux que nous voulons parler. En effet, le Roi n’était chef de famille que parce qu’il était roi de Prusse. Mais ne considérât-on que le chef de famille, cela ne le soustrayait pas à notre action. Un chef de famille ne peut pas valablement donner à un prince, non subordonné, l’autorisation d’accepter une couronne, si lui-même n’y est pas autorisé par les grandes puissances. Et si cette autorisation n’a pas été obtenue, son devoir strict, en tant que membre de la grande famille européenne, est d’interdire au prince une brigue qui devient une cause de perturbation. C’est ce que nous demandions au roi de Prusse. Ottokar Lorenz ne conteste pas, comme l’avait fait à tort Sybel, que le Roi eût le pouvoir d’interdire, « mais, dit-il, il était impossible qu’une telle défense fût faite sur l’injonction d’une puissance étrangère[1]. » Et pourquoi donc ? Est-ce la première fois qu’il en serait ainsi advenu ? N’était-ce pas sur l’injonction publique de l’Angleterre que Louis-Philippe avait refusé aux Belges son fils Nemours pour roi, et aux Espagnols son fils d’Aumale pour époux de leur reine ? N’était-ce pas sur l’injonction de la Russie et de la France que la reine d’Angleterre avait décliné J’offre de la couronne de Grèce pour son fils Alfred ? En quoi offense-t-on ou humilie-t-on quelqu’un en lui demandant de se soumettre à une règle générale de droit international, à laquelle avant lui tout le monde s’est soumis et qu’il a lui-même contribué à établir ?


VI

Que devions-nous penser de la démarche du Roi auprès des princes de Hohenzollern ? Etait-elle sincère ou était-ce une ruse nouvelle ? Nous étions bien embarrassés de le savoir en lisant les appréciations de Benedetti ; elles nous troublaient par leurs louvoiemens : « Faut-il conclure du langage que m’a tenu le Roi qu’il est résolu de se conformer à nos vœux, en laissant au

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