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Roumanie ? Nous sommes d’autant plus agréablement surpris de rencontrer chez ces Slaves du Sud, encore tout pleins de la sève populaire, tant d’amis de notre langue et de notre littérature. Ils sont nombreux en effet dans les deux pays ; j’ai été invité à faire des conférences à Belgrade et à Sophia, et j’ai été étonné du grand nombre d’auditeurs qu’y attirait la parole française. Beaucoup de nos compatriotes, écrivains, artistes, hommes politiques, visitent chaque année les rives enchanteresses du Bosphore ; au lieu de traverser en somnolant la Serbie et la Bulgarie dans les étroits « sleepings » de l’Orient-Express, ils nous rendraient service en faisant une courte escale entre Budapest et Stamboul, dans ces deux jeunes capitales serbe et bulgare, si différentes l’une de l’autre, dont la croissance rapide et les grands horizons méritent de retenir, une ou deux journées, tous les voyageurs.

Comme la Roumanie, comme la Grèce, la Bulgarie et la Serbie envoient chaque année de nombreux jeunes gens étudier en France. Nous en recevons tous les ans une escouade à l’Ecole des Sciences politiques, et je ne crois pas que la crise balkanique en doive diminuer l’affluence. Plus malaisée est la situation des Etats slaves du Balkan, celle de la Serbie surtout ; plus lourdement pèse sur Belgrade la pression austro-allemande, et plus les Slaves du Sud, plus les Serbes auront besoin de chercher au dehors un point d’appui intellectuel et moral. Après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, la Serbie va se trouver, définitivement, enserrée au Nord et à l’Ouest par l’Autriche-Hongrie. On sait quelles sont ses plaintes, et quelles sont ses inquiétudes. Coupée à la fois de l’Adriatique par la Bosnie, de la mer Egée par la Macédoine, elle gémit de voir se fermer devant elle toutes les routes de la mer libre. Elle s’afflige et s’irrite de n’être plus guère qu’une enclave de la monarchie habsbourgeoise. Victime de combinaisons qui n’ont même pas entamé ses frontières, son indépendance politique ne lui semble plus suffire à garantir son autonomie économique ; pour la recouvrer, elle montre peu de foi dans les projets de chemins de fer du Danube à l’Adriatique qui pourraient encore la relier au Monténégro et à la mer. Dans la profondeur de leurs déceptions, nombre de Serbes en sont venus à dire que, l’avenir du royaume étant perdu, mieux valait en jouer hardiment l’existence dans une folle guerre ; que, si l’héroïsme des Serbes ne parvenait pas à briser l’étreinte de leur