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danger qu’il courait, revint chez lui, s’installa au chevet de la malade et ne la quitta pas d’un instant. Elle fut sauvée, mais demeura défigurée. Loin de pleurer la perte d’une beauté qui était, nous dit-on, remarquable, elle fit des vers pour remercier Dieu, non seulement de l’avoir guérie, mais de lui avoir envoyé cet « accident » qu’elle « considéra comme une faveur. » Puis, elle retourna à ses poupées. Nous avons ces Stances pour remercier Dieu au sortir de la petite vérole : elles sont médiocres de forme ; mais l’inspiration, qui fut toute « de son propre mouvement, » en est bien touchante. Cette enfant de treize ans a l’âme tout naturellement héroïque.

Peu de temps après, Richelieu eut la fantaisie de se faire jouer une comédie par des enfans. Sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, fit demander Jacqueline. Gilberte répondit fièrement : « M. le cardinal ne nous donne pas assez de plaisir pour que nous pensions à lui en faire[1]. » Sur l’instance de Mme d’Aiguillon et de quelques amis, elle se ravisa : l’enfant joua son rôle à merveille, et, après la représentation, alla demander au cardinal la grâce de son père : elle récita un compliment en vers de sa composition ; elle fut charmante, et, comme toujours, pleine de décision et d’à-propos. Richelieu fut ravi, lui prodigua « des caresses si extraordinaires que cela n’était pas imaginable, » et accorda tout ce qu’on voulut. « Dites à votre père, répéta-t-il plusieurs fois, quand il sera revenu, qu’il me vienne voir. » Nous avons la lettre que Jacqueline, au retour de la fête, écrivit à Etienne Pascal pour lui annoncer la bonne nouvelle ; elle est adorable de simplicité et de naïveté : « On nous mena ensuite dans une salle où il y eut une collation magnifique déconfitures sèches, de fruits, limonade et choses semblables. » Nous serions fâchés qu’elle eût omis ce détail ; mais elle n’en omet aucun, et sa présence d’esprit est admirable : « Je vous prie de prendre la peine de lui écrire à l’acteur Mondory, qui avait longuement parlé en sa faveur] par le premier ordinaire, pour le remercier, car il le mérite bien. Pour moi, je m’estime extrêmement heureuse d’avoir aidé en quelque façon à une affaire qui peut vous

  1. Ceci est la version du Recueil d’Utrecht. Peut-être est-elle un peu arrangée, car la réponse rapportée par Marguerite Perier est un peu moins cornélienne : « Ma mère répondit tristement qu’elle était à Paris seule sans père ni mère, avec son frère et sa sœur, bien affligée de l’absence de son père ; et qu’ils n’avaient pas assez de joie, ni de gaîté pour donner du plaisir à M. le cardinal, ni les uns ni les autres. »