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Jacqueline, très attristée, et fort gênée dans ses mouvemens, se soumit, mais ne se relâcha point de sa ferveur. Elle rompit complètement avec le monde, s’affranchissant même peu à peu de « la conversation domestique, » et « demeurant toute la journée seule dans son cabinet. » En « cette exacte solitude, » « on s’apercevait de jour en jour qu’elle faisait un progrès admirable dans la vertu. » Au reste, elle trouvait le moyen de rester en relations étroites avec Port-Royal : elle y allait quelquefois, elle y envoyait souvent et en recevait des lettres, « car elle avait une adresse admirable pour cela, et ainsi elle se soutenait. »

Nous possédons d’elle une lettre à son père, datée de cette époque, 19 juin 1648, lettre infiniment touchante, habile et tendre sous ses formes respectueuses, lentement déduites et un peu compassées, et que je ne puis relire sans songer à la prière de l’Iphigénie de Racine. Citons en quelques lignes, puisque aussi bien Sainte-Beuve ne l’a même point mentionnée dans son Port-Royal :


Monsieur mon père,… avant toutes choses, je vous conjure, au nom de Dieu (que nous devons seul considérer en toutes matières, mais particulièrement en celle-ci), de ne vous point étonner de la prière que je vous vais faire, puisqu’elle ne choque en rien la volonté que vous m’avez témoigné que vous aviez. Je vous conjure aussi, par tout ce qu’il y a de plus saint, de vous ressouvenir de la prompte obéissance que je vous ai rendue sur la chose du monde qui me touche le plus, et dont je souhaite l’accomplissement avec plus d’ardeur. Vous n’avez pas oublié sans doute cette soumission si exacte, vous en parûtes trop satisfait pour qu’elle soit sitôt sortie de votre esprit. Dieu m’est témoin que je crois avoir fait mon devoir d’en user ainsi, et que ce que je vous en dis n’est que pour vous faire comprendre que toutes mes maximes me portent à ne rien entreprendre d’important que par votre consentement, et que jamais il ne m’arrivera de vous fâcher, s’il m’est possible…


Et à quoi vont toutes ces longues « préparations ? » Tout simplement à obtenir l’autorisation d’aller faire une retraite de quinze jours ou trois semaines à Port-Royal. Certes, elle aurait pu prendre sur elle de s’y rendre, « sans offenser en rien » son père ; mais il en eût été surpris, et elle veut éviter jusqu’à l’ « image d’une désobéissance. » Et elle poursuit, toujours humblement implorante et soumise, mais avec infiniment d’adresse et de tact et d’ingéniosité tendrement persuasive dans sa délicate insistance :


Puisque Dieu me fait la grâce d’augmenter de jour en jour l’effet de la