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« seule à seul » avec son Dieu. Elle ne s’était pas rendu compte que, moins pure peut-être et moins ardente que celle dont elle brûlait elle-même, la flamme qui animait son frère avait besoin d’être fidèlement entretenue et attisée par le contact quotidien et par le vivant et présent exemple de sa propre ferveur. Quand elle s’en aperçut, il était peut-être trop tard, ou du moins sa discrétion, sa timidité de femme durent s’imaginer volontiers qu’il était trop tard : elle souffrit, et elle pria en silence. « Prie Dieu pour moi, — écrivait-elle, dès 1649, à Mme Perier, — mais tout de bon ; rends-lui aussi grâces pour tous et pour mon frère quelques prières et quelques actions de grâces particulières. » Évidemment, l’âme et le salut de Blaise étaient l’objet de ses plus constantes préoccupations.

La mère Agnès essayait de calmer ses impatiences et ses tristesses : « Pour cette personne, lui écrivait-elle, il vous faut voir souvent cette vérité que si Dieu n’édifie les âmes, on travaille en vain ; c’est pourquoi il faut plus prier pour elles que non pas leur parler de Dieu, sinon par l’exemple. » Et elle lui envoyait le 20 mai 1651, selon l’usage de Port-Royal, un « billet qui était le Mystère de la mort de Notre-Seigneur : » ce sujet lui inspira une suite de pensées que Mme Perier déclare « admirables, » et qui nous ont été conservées. Avouons-le : il n’y a rien là qui vaille et qui rappelle, même de loin, cet émouvant Mystère de Jésus que Pascal nous a laissé. Ce n’est pas ce dialogue sublime qui s’engage entre le divin Crucifié et l’âme implorante et prosternée du pécheur. Ce ne sont pas ces mots de flamme qui tombent de la croix comme des larmes brûlantes sur les douleurs et les plaies humaines pour les purifier et les guérir ; ce ne sont pas ces reprises étouffées, ardentes de la voix pécheresse, ces élans d’amour, de confiance et de joie, et tout ce jaillissement lyrique qui s’épanche d’un cœur trop plein : « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé. J’ai pensé à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi… Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité sans que tu donnes des larmes ?… Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur. — Je le perdrai donc, Seigneur… Seigneur, je vous donne tout… — Je t’aime plus ardemment que tu n’as aimé tes souillures… » Ces mystiques effusions, cet accent d’intimité passionnée manquent dans la méditation de Jacqueline. Elle raisonne, elle déduit trop. Elle s’applique à elle-même,