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indigne d’une telle grâce que je ne crois pas que vous soyez assez insensible pour vous pouvoir résoudre à me causer un si grand mal.


Même dans la juste et insistante revendication de ses droits, — qui sont les droits de Dieu, — que de délicate et ardente affection, que d’humaine et touchante tendresse ! Et elle poursuit, plus pressante encore :


C’est pourquoi je m’adresse à vous comme au maître en quelque façon de ce qui me doit arriver, pour vous dire : Ne m’ôtez point ce que vous n’êtes pas capable de me donner ; car encore que Dieu se soit servi de vous pour me procurer le progrès des premiers mouvemens de sa grâce, vous savez assez que c’est de lui seul que procède tout l’amour et toute la joie que nous avons pour le bien : …Vous devez connaître et sentir en quelque façon ma tendresse par la vôtre, et juger que si je suis assez forte pour ne laisser pas de passer outre malgré vous, je ne la suis pas assez peut-être pour être à l’épreuve de la douleur que j’en recevrai… Et ne m’obligez pas à vous regarder comme l’obstacle de mon bonheur[1], si vous êtes capable de différer l’exécution de mon dessein, ou comme l’auteur de mon mal, si vous êtes cause que je l’accomplisse avec tiédeur.


Et elle continue sur ce thème, évoquant tour à tour l’affection de Blaise, et l’équité de ses sentimens chrétiens : « Ne vous rendez pas ingrat envers Dieu de la grâce qu’il fait à une personne que vous aimez : plus elle doit vous être chère, plus les faveurs qu’elle reçoit vous doivent êtres sensibles. » Puis, brusquement, comme la Pauline de Corneille, — comme l’Amélie de René dans la célèbre lettre à son frère, — emportée par le flot de l’émotion, elle quitte là ces cérémonieuses formules, et ce vous solennel, et elle revient au tutoiement familier, qu’elle abandonne bien vite, pour le reprendre encore, comme par surprise et involontaire retour à la douce intimité du passé. Et parfois aussi, le ton se fait plus âpre, plus impérieux, plus sévère :


Fais par vertu ce qu’il faut que tu fasses par nécessité. Donne à Dieu ce qu’il te demande en le prenant : car il veut que nous lui donnions ce qu’il

  1. Cf. Polyeucte :
    Et je ne regarde Pauline
    Que comme un obstacle à mon bien.
    Dans tout le cours de la lettre on pourrait relever d’involontaires réminiscences de Polyeucte. Je crois bien que ce sont des réminiscences véritables. Jacqueline était à Rouen, et elle avait dix-huit ans quand Corneille donna Polyeucte (1643). Elle ne serait pas Jacqueline, si elle n’avait pas beaucoup admiré la « tragédie chrétienne » du grand poète qu’elle connaissait. Qui sait même si la lecture de la pièce n’aurait pas réveillé ou fait naître dans l’âme de la jeune fille des sentimens de sacrifice et d’héroïsme chrétiens dont, trois ans plus tard, sa conversion allait bénéficier ?