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Elle n’avait plus bien longtemps à désirer l’éternité. Elle avait été trop mêlée à toute la vie de Port-Royal pour ne pas prendre sa part très intime des luttes que dut soutenir la pieuse maison et des persécutions qu’elle eut à souffrir. En 1661, les religieuses reçurent l’ordre de renvoyer à leurs familles respectives toutes leurs pensionnaires, puis toutes les novices et postulantes ; un des grands vicaires de l’archevêché de Paris vint même au monastère pour les interroger sur leur foi. Nous avons, rédigé par elle-même, l’interrogatoire de la sœur de Sainte-Euphémie : ses réponses sont pleines d’à-propos, de franchise et de noble fermeté. Elle parle « comme devant Dieu. » Voici, par exemple, l’une de ses reparties : « D’où vient, lui demande-t-on, qu’il y en a tant qui se perdent éternellement ? »


Je vous avoue, monsieur, — répond-elle, — que cela me met souvent en peine, et que d’ordinaire, quand je suis à la prière, et particulièrement devant un crucifix, cela me vient à l’esprit, et je dis à Notre-Seigneur eu moi-même : Mon Dieu ! comment se peut-il faire, après tout ce que vous avez fait pour nous, que tant de personnes périssent misérablement ? Mais quand ces pensées me viennent, je les rejette, parce que je ne crois pas que je doive sonder les secrets de Dieu ; c’est pourquoi je me contente de prier pour les pécheurs.


Ce n’était là que le commencement de l’orage. En février 1661, l’Assemblée du clergé, sous la pression royale, avait rédigé un formulaire, que tous les ecclésiastiques devaient signer, pour condamner en droit et en fait les cinq propositions[1]. D’accord avec « Messieurs de Port-Royal, » qu’ils favorisaient secrètement, les vicaires généraux avaient composé un trop habile mandement, — Pascal passait pour l’avoir écrit, — qui avait pour objet de rassurer les consciences inquiètes, et d’obtenir la signature du formulaire, tout en réservant les croyances intimes[2]. Parvenu à Port-Royal des Champs, le mandement parut aux religieuses « obscur et embarrassé. » Plus que toute autre, la

  1. Voyez, pour tous ces événemens, les précieux Mémoires de Godefroi Hermant sur l’histoire ecclésiastique du XVIIe siècle, publiés par M. A. Gazier, t. IV et V. Paris, Plon, 1908.
  2. Sur cette question de la signature du formulaire, la première attitude de Pascal était celle qu’eut plus tard Bossuet, dans sa Lettre aux religieuses de Port-Royal (juillet 1665). Voyez cette Lettre au tome I de la très belle et sans doute définitive édition de la Correspondance de Bossuet, qu’ont commencée récemment MM. Levesque et Urbain dans la Collection des Grands Écrivains de la France (Hachette, 1909, p. 84 et suivantes).