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A Port-Royal des Champs, dans le petit oratoire qu’on a élevé sur les ruines de l’église détruite, on nous a conservé un portrait de la sœur de Sainte-Euphémie. Moins émouvant que celui que nous possédons de sa sœur Gilberte, à l’hôpital de Clermont, il a bien pourtant son austère et parlante beauté. Jacqueline est revêtue du sévère et imposant costume des Bernardines de l’ordre de Cîteaux : grande robe de laine blanche aux plis raides et lourds ; par devant, une croix rouge se détachant sur la blancheur du scapulaire ; la guimpe blanche, le voile noir enserrent et encadrent le long et fin ovale du visage. La jeune sous-prieure est assise : la main droite, appuyée au bras du fauteuil, touche, d’un geste familier, le blanc rosaire ; la main gauche tient un livre d’heures. Moins anguleuse, moins heurtée, la physionomie rappelle en plus doux celle de son frère. Le pli de la lèvre est bien spirituel, et l’on sent que le léger sourire qui éclaire cette noble figure serait aisément ironique. Moins vifs et moins perçans que ceux de Blaise, les beaux grands yeux profonds regardent droit devant eux avec calme, avec confiance, avec courage. Pourtant, il y a dans l’expression de ces traits quelque chose de subtilement douloureux qui inquiète et provoque à la rêverie… A quoi songe la sœur de Sainte-Euphémie ? et quelles sont ses raisons d’être triste ? L’idée de la mort et du jugement hante-t-elle son esprit ? Pense-t-elle aux malheurs qui fondent sur la sainte maison, et aux conséquences de la signature du formulaire ? Ou bien plutôt, sa mélancolie n’aurait-elle pas pour cause le souvenir de ce frère tant aimé qui s’attarde aux vanités du monde et pour le salut duquel elle donnerait si joyeusement sa vie ?… On ne sait ; ou du moins, on ne sait qu’une chose : c’est que ceux-là sont dignes d’admiration et d’envie qui savent mourir pour leur croyance, et que, dans cette existence si courte, et pourtant si bien remplie de Jacqueline Pascal, l’idéalisme français a trouvé l’une de ses plus hautes et plus mémorables expressions.


VICTOR GIRAUD.