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introduisait dans ce théâtre des élémens que j’appellerai romanesques, me souvenant que Brunetière se fâchait quand on parlait à ce propos de mélodrame. Et je mets à part la Course du Flambeau, qui reste jusqu’ici comme la pièce la plus achevée du répertoire moderne.

Cette œuvre multiple et variée n’en a pas moins une forte unité. Elle la doit en partie aux idées qui y circulent, et à cette impression d’amertume que nous, laisse chacune de ces transcriptions de la vie. Elle la doit surtout à la façon dont l’auteur conçoit l’objet et les procédés de l’art dramatique. M. Paul Hervieu, en publiant son théâtre, n’y a pas mis de préfaces. Il est avare de commentaires sur son œuvre et de considérations théoriques sur son art. Toutefois on peut, sans trop de peine, imaginer quelle est son intime conviction : c’est que, depuis les maîtres du XVIIe siècle, on n’a pas fait de pièces de théâtre en France. S’il est, par bien des côtés, l’un des plus modernes entre nos auteurs dramatiques, M. Hervieu, par sa conception même de l’art du théâtre est le plus traditionnel. Cette conception consiste à considérer que le lieu de la scène est dans l’âme des personnages et que tout le drame réside dans une crise de la vie intérieure. Sous l’action de certaines circonstances, non pas fortuites, mais découlant elles-mêmes de la logique d’une situation, comment se comportera notre être moral ? De nos idées conscientes ou de nos aspirations instinctives, lesquelles l’emporteront ? Est-ce la volonté qui triomphera de la passion, est-ce la passion qui mettra la volonté en déroute ? D’avance nous n’en pouvons rien dire, car il nous manque d’avoir fait l’épreuve de nos forces, et nous sommes pareils au conscrit avant le baptême du feu. Seul le péril, réellement affronté, permet d’établir le départ entre les couards et les braves. A l’instant décisif, quel être allons-nous voir surgir, de qui nous ne soupçonnions pas en nous l’existence ? C’était déjà une découverte de ce genre que faisaient en eux les personnages de la Course du Flambeau. C’en est une analogue que feront ceux de Connais-toi. Dans les deux cas, la pièce de théâtre est une même chose : c’est une expérience de psychologie.

On s’est étonné que M. Paul Hervieu affectionnât, pour en décorer ses pièces, les titres empruntés à l’antiquité. Naguère c’était un souvenir de ces fêtes où les coureurs, de main en main, se repassaient le flambeau. Cette fois, au fronton de son nouveau drame, nous Usons la même inscription que déchiffraient les pèlerins au fronton du temple de Delphes. Apparemment il veut donner à entendre que, si beaucoup de choses changent dans la forme des sociétés et dans le décor de la vie, le fond de la nature ne change pas et la comédie