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l’ameublement, le logis, l’éclairage et le chauffage, pour ne parler que des besoins principaux, ont été renouvelés de fond en comble. De sorte que la vie matérielle des Français du moyen âge ou de la Renaissance n’est guère semblable à celle des Français de 1789, et que celle-là même n’est eu rien comparable à la vie des Français actuels.

La transformation dans ce domaine est bien postérieure à la Révolution politique. Elle n’a même aucun rapport avec cette Révolution. Des faits incroyables s’étaient accomplis, la face du monde avait changé, la France s’était affranchie de routines séculaires, l’ancien moule social s’était brisé ; nos armées victorieuses avaient bouleversé la vieille Europe, par leurs idées plus encore que par leurs sabres ; mais, comme durant la première moitié du siècle les nouveautés scientifiques étaient demeurées nulles ou sommeillaient inappliquées, le bien-être de la masse française depuis la chute de l’ancien régime ne se trouvait nullement augmenté.

« Pourquoi es-tu triste, riche duc ? dit la chanson de Garin au xiie siècle. Tu as de l’or et des fourrures en tes coffress, des faucons sur les perches, des palefrois, des mulets, des roussins, et tu as battu tes ennemis. Tous tes vassaux sont prêts à marcher pour te servir. » Parmi les dépenses disparues, la plus notable est celle des frais militaires ; chaque particulier au moyen âge avait son « budget de la guerre, » autant que ses moyens lui permettaient de se l’offrir.

La sécurité des personnes et des choses, ce bien aujourd’hui commun et banal, était un luxe privé : donjons et forteresses, armes offensives et défensives, poudre, canons et coulevrines, gages de soldats et de capitaines ne figurent plus dans les comptes des millionnaires de notre république ; et l’on n’y rencontre pas davantage les traitemens des chevaucheurs et « messagers de pied, » les appointemens des fonctionnaires de leur fief, juges et baillis seigneuriaux, de leurs jongleurs et ménestrels, de leurs « physiciens, » — médecins, — à demeure, et de leurs fauconniers. Ils ne s’habillent plus en cérémonie d’étoffes d’or et, lors des épousailles « en grand triomphe, » les riches mariées ne revêtent plus ces robes chamarrées de pierres précieuses, terribles harnais si couverts d’orfèvrerie qu’on n’eût su dire de quelle couleur était le tissu.

Ils ne tiennent plus table ouverte, leurs châteaux ne sont