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l’aéroplane, chaque pas fait par l’homme dans ce que nous nommons le « progrès » a été moins important que le précédent.

Je veux dire que chaque invention nouvelle a beau sembler, a beau être réellement, plus merveilleuse en soi qu’aucune des inventions antérieures, elle constitue, au regard de l’état préexistant, une révolution moindre. Elle apporte à la condition de l’humanité une mutation moins radicale que celles qu’y avaient apportées les étapes passées.

L’invention du langage avait été un pas plus important que celle de l’écriture, sur pierre ou sur écorce. Celle-là à son tour était une découverte plus précieuse que celle du papyrus ou des tablettes de cire. De là au parchemin, au papier de chiffon, au livre imprimé, puis au journal, à la pâte de bois, au clichage, aux machines rotatives et à la linotype, on voit clairement que le résultat obtenu pour l’expression et la diffusion des idées n’a pas correspondu, à chaque degré franchi, à la génialité qu’il a fallu déployer pour le franchir.

Et de même pour le transport des personnes et des marchandises : la grande trouvaille fut l’animal de bât ou de selle ; après quoi, vint l’idée de la roue dont les conséquences, en fait de communication, dépassèrent beaucoup en leur temps celles que, dans le nôtre, ont eues les chemins de fer. La simple institution des postes a aussi rendu plus de services effectifs que le télégraphe ou le téléphone. La grande innovation, en fait de combustible, fut l’étincelle produite par le frottement du silex. Le briquet ou les allumettes amorphes ne sont rien en comparaison, ni même les calorifères à vapeur.

Depuis l’arc ou la fronde qui permettaient de se défendre et d’attaquer jusqu’aux armes de fer, à la poudre, aux mousquets et au canon de 320 millimètres ; depuis la conception du filage de la laine jusqu’aux manufactures de textiles, d’un progrès à l’autre, la science a été croissant et l’intérêt décroissant puisque la vie était de moins en moins changée. Je ne sais si l’on trouvera dans l’avenir quelque chose de vraiment capital, comme la suppression des infirmités ou de la maladie ; mais jusqu’à ce jour nous avons simplement perfectionné les besoins de nourriture, de logement, de vêtemens, de chauffage, d’éclairage, le besoin de nous remuer et de transporter les objets. Nous n’avons pas créé de nouveaux types de besoins fondamentaux ; car on ne saurait appeler tels les bijoux, les arts, le théâtre ou le tabac.