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indignation sa fermeté. Dans un discours prononcé à Haddington à la fin de 1887, M. Balfour s’amusait à énumérer tous les adjectifs infamans qu’on lui avait jetés à la tête, toutes les comparaisons dont on l’avait flétri : meurtrier, assassin, monstre altéré de sang, Néron, Caligula ; le dictionnaire avait fourni ce qu’il contient de plus injurieux, l’histoire ce qu’elle garde de plus noir. Quand il eut assez montré son indifférence à ses insulteurs, il rompit toute communication personnelle avec eux et chargea son sous-secrétaire d’Etat, le colonel King Harman, de leur lire ses réponses. Quant à lui, il réserva son temps à la besogne sérieuse du département dont il était chargé et à l’accomplissement de sa politique irlandaise.

Quelle était cette politique ? Il l’a définie lui-même lorsqu’î1 disait au début de son ministère : « En ce qui touche la répression, je serai aussi impitoyable que Cromwell ; en matière de réformes, je dépasserai Parnell. » Cette phrase dut sonner étrangement aux oreilles d’un Parlement qui, depuis dix ans, n’avait su, à l’égard de l’Irlande, qu’osciller de la faiblesse extrême à l’extrême sévérité. Pour la première fois, on lui proposait d’allier l’énergie dans la répression à l’action bienfaisante et réparatrice, c’est-à-dire, tout simplement d’être juste pour l’Irlande.

Voici comment s’y prit M. Balfour pour réaliser sa menace et sa promesse. Il fit voter par la majorité unioniste une loi d’exception, dont l’application fut confiée à des tribunaux locaux, institués pour la circonstance. On pouvait en appeler de leurs arrêts par-devant les cours de comté. Mais ces procès, jugés sur place, n’offraient plus cette publicité bruyante qui les rend, même alors qu’ils aboutissent à une condamnation, plus profitables au condamné qu’à la justice. Ces tribunaux appliquèrent le crimes act, sans distinction de classes, aux fauteurs aussi bien qu’aux auteurs de tous les attentats contre l’ordre public et contre la propriété, au paysan barbouillé de suie qui avait enlevé ou mutilé des bestiaux comme au député qui avait prêché la révolte. En toute circonstance, M. Balfour couvrait la police irlandaise qu’on faisait responsable de tous les excès et qui remplit sa difficile mission avec d’autant plus de zèle et de sang-froid qu’elle se sentit protégée.

Plus M. Balfour étudiait le problème irlandais, plus il se persuadait qu’en Irlande, la question à résoudre est une question agraire. L’Irlande meurt de faim. Soulagez sa misère en