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sentiment national ; il n’avait point, comme lord Salisbury, la décision suprême ; il n’avait de responsabilité ni dans la direction des opérations militaires, ni dans l’attitude observée par l’Angleterre envers les autres puissances. Son rôle, modeste par comparaison, quoique ingrat et difficile, consistait à diriger les discussions du Parlement, et qu’était la guerre des paroles à côté de la guerre véritable qui coûtait tant d’hommes et d’argent !

La paix, — une paix honorable pour les deux partis, — fut enfin signée à Vereinigen au printemps de 1902 et, l’année suivante, lord Salisbury quittait définitivement le pouvoir. Devenu chef officiel du Cabinet, M. Balfour ne fit d’abord aucun changement dans le personnel, ni dans le programme gouvernemental. C’est à ce moment que M. Chamberlain ouvrit sa campagne protectionniste. Il y avait été conduit par la logique de ses idées. Les deux politiques qu’il avait successivement soutenues, la repopulation des districts ruraux par la reconstitution de la petite propriété agricole, le resserrement du lien économique qui unissait la métropole et ses Colonies, s’y rencontraient et s’y confondaient dans une politique plus large qui les réalisait toutes deux. En relevant les tarifs et en accordant aux Colonies des droits préférentiels, avec réciprocité, on devait, suivant M. Chamberlain, raviver l’agriculture, en même temps qu’on assurait un marché permanent à l’industrie britannique et qu’on faisait sentir aux Anglais d’outre-mer la nécessité vitale de se rallier autour de la mère patrie. Pas d’Empire possible avec la liberté commerciale ! Avec sa franchise habituelle, le grand orateur de Birmingham démasqua dès le premier jour et présenta à l’opinion ce système dans toute son étendue et avec toutes ses conséquences.

Il y eut une sorte de stupeur dans tous les partis et un désarroi visible dans les rangs des conservateurs. Pourtant, et bien que le libre-échange fût devenu une sorte de dogme national, placé en dehors et au-dessus de toutes les discussions, un groupe protectionniste, dont le chef était M. Chaplin, s’était perpétué dans le Parlement et possédait les sympathies, plus ou moins avouées, de lord Salisbury. Quel était, à cet égard, l’état d’âme de M. Balfour ? Son article sur Cobden, dont il a été question plus haut, permettait de le pressentir. Évidemment, la politique nouvelle de son collègue ne fut pas pour lui, comme pour tant d’autres, une surprise, et j’incline à croire qu’il