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était converti, d’avance, au nouvel Evangile. Mais son tempérament diffère de celui de M. Chamberlain et sa position officielle lui imposait certains ménagemens. Il n’était pas homme à dire, comme le Rabagas de Sardou : « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive ! » Mais il pensait, probablement : « Je suis leur chef, je ne dois pas marcher d’un tel pas qu’ils ne puissent me suivre. » Il prit donc l’attitude d’un homme impartial qui ouvre son esprit, pèse les argumens et réfléchit. Pour le laisser réfléchir plus tranquillement, M. Chamberlain quitta son poste dans le Cabinet et se fit, suivant ses propres expressions, « le missionnaire de l’Empire, » se prodiguant sans réserve et usant des forces qui déclinaient dans des tournées oratoires où il se heurta, plus d’une fois, à une brutale opposition.

Pendant ce temps, la période de l’open mind avait pris fin, car M. Balfour sentait l’impossibilité de se présenter devant les électeurs en interrogeant au lieu d’affirmer. Il s’établit donc dans une position à mi-côte, à égale distance entre le libre-échange et le protectionnisme à outrance. « Nous sommes entourés, disait-il, par des nations qui élèvent autour de leurs frontières un formidable rempart de tarifs douaniers. par-là elles ferment leurs marchés à nos produits pendant qu’elles nous inondent des leurs. Quel moyen avons-nous de nous défendre ? Aucun. Si nous voulons négocier pour obtenir un adoucissement à ces tarifs, quelle concession avons-nous à offrir ? Aucune, si ce n’est la clause dérisoire de la nation la plus favorisée. Montrons à ces nations, nos rivales et nos clientes, que nous pouvons user de représailles, répondre à leurs tarifs douaniers par d’autres tarifs douaniers. Elles seront alors plus traitables et, si nous abaissons de nouveau nos tarifs, ce sera pour obtenir du moins quelque sérieux avantage en échange. » C’est ce qu’on appelait la retaliation policy. Toute raisonnable et modérée qu’elle fût, elle se perdait un peu dans la politique, bien autrement nette et hardie, du « missionnaire de l’Empire, » comme la personnalité de M. Balfour dans celle de M. Chamberlain.

Le programme de celui-ci fut donc la plate-forme sur laquelle se livra la grande bataille électorale de janvier 1906 dont j’ai relaté ici, jour par jour, les incidens et les résultats. Elle aboutit à l’éclatante victoire des libéraux et, dans le cas de M. Balfour, la défaite totale du parti qu’il dirigeait se compliqua d’un échec personnel. Les électeurs de Manchester qui l’avaient appelé à