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l’œuvre de Wagner, de Tannhäuser à Tristan et à Parsifal, on pourrait en citer, en rappeler (car ils sont connus) d’innombrables exemples. Ce serait premièrement la « romance » de l’Étoile, dans Tannhäuser ; dans Lohengrin ensuite, au second acte, la conclusion toute chantante, accompagnée à l’unisson par l’orchestre, du duo d’Ortrude avec Elsa ; plus loin, dans Lohengrin encore et pendant le duo nuptial, l’invite amoureuse du héros entraînant Elsa vers la fenêtre où montent les parfums de la nuit. S’il est un reproche que les wagnériens plus wagnériens que Wagner adressent au lied du Printemps (premier acte de la Walkyrie), c’est d’être avant tout et plus que tout une mélodie. Accompagné symphoniquement, l’adieu de Wotan à Brünnhilde garderait pourtant, sans l’accompagnement, sa mélodique beauté. Le chant de la forge, au premier acte de Siegfried, a presque, même séparé de l’orchestre, la carrure strophique d’un thème de Haendel, et les triolets n’ajoutent qu’une parure extérieure, une sorte de frissonnante auréole à la cantilène enfantine qui, de la coupole du temple, au premier acte de Parsifal, descend vers le Graal empourpré. Enfin et surtout, qui dira l’effet mélodique, et rien que mélodique d’abord, — puisqu’elle résonne, et se traîne, et gémit, et se soutient seule dans le vaste silence, — de la complainte pastorale et marine par où commence le dernier acte de Tristan ! Mélodie instrumentale ; mais qu’importe ! Mélodie aussi toute différente de la mélodie régulière, symétrique même, de l’ancien opéra. Mélodie libre et comme errante, mais si vaste et si profonde, qu’elle semble s’étendre et s’enfoncer à l’infini. « Die alte Weise, » murmure le mourant, qu’elle éveille, et ces trois mots signifient bien des choses. « Die alte Weise, » la « manière, » ou le « mode » d’autrefois. C’est la chanson de l’enfance, et non pas seulement de l’enfance du héros, mais de l’enfance des hommes, car elle a quelque chose des mélopées de la Grèce ; c’est la chanson populaire, l’universelle chanson, et si peut-être, comme forme, elle n’est plus tout à fait une de ces mélodies que nous avons connues jadis, au fond et toujours elle est bien l’antique, l’éternelle mélodie.

Mais la mélodie de Wagner, à peine créée, aspire à la symphonie ; elle en désire, elle en cherche le contact et le bienfait. Elle veut y entrer, s’y mêler et comme s’y perdre. Dès que la symphonie l’effleure, aussitôt sa beauté s’en accroît et s’en avive étrangement. Contre la note qui chante, il suffira parfois qu’une