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théorie aujourd’hui familière à tout le monde, il suffit de rappeler que le leitmotiv, élément, agent de la symphonie, est encore un précieux instrument d’analyse ou de psychologie musicale. Son pouvoir est double : participant de la musique et du langage, il s’adresse à l’esprit et au cœur. Signe rationnel et passionnel tout ensemble, les êtres, les choses nous deviennent par lui connaissables et reconnaissables ; mais il nous les rend sensibles également, si ce n’est davantage. Il y a plus. Infiniment souple et comme ductile ou plastique, le leitmotiv prend des aspects, revêt des formes changeantes, sous lesquelles persiste et se retrouve pourtant l’unité, l’identité du fond, celle d’un personnage ou d’un fait. La symphonie enfin, étant multiple par nature, possède le privilège de pouvoir exprimer les choses non seulement tour à tour, mais ensemble. Elle a pour domaine, autant que la succession, la rencontre des états et des sentimens, leur concours, au besoin leur conflit. Voilà ce qui fait de Wagner, dramaturge symphonique, un des grands maîtres de la musique psychologique ou de la psychologie musicale. En transférant à la musique de théâtre, à la musique appliquée, le génie de la symphonie, de la musique pure, je ne dis pas qu’il ait créé des âmes plus humaines et plus vivantes, mais, il a peut-être exprimé plus fortement ce qu’il y a de complexité, voire de contradiction, dans l’humanité, dans l’âme et dans la vie.

Ainsi la symphonie seule a permis au musicien de Tristan, dans une scène fort longue et cependant unique (premier acte), la représentation intégrale d’une figure comme Iseult. La symphonie encore et surtout a rendu possible, au terme d’un opéra, (Tristan), à la fin de la Götterdämmerung, c’est-à-dire de quatre opéras, cette espèce de synthèse colossale, où l’on dirait que reparaissent et se rassemblent pour la dernière fois tous les élémens et toutes les forces, tous les matériaux et toutes les pensées d’un ordre ou d’un monde gigantesque, idéal et réel en même temps, et qui va finir.

Plus éloquente que la voix, la symphonie de Wagner garde, sans la voix, son éloquence. Elle parle pour ceux qui se taisent, pour ceux que l’excès d’une sensation ou d’un sentiment, lassitude, surprise, amour, douleur ou joie, accable et rend silencieux. Et si d’une certaine manière il est vrai, nous le disions plus haut, que le drame wagnérien continue la Symphonie avec chœurs, de Beethoven, à d’autres égards, nous le voyons à