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mérite, — n’est pas le moins significatif. Un excellent historien de la musique écrivait récemment : « La victoire de Pelléas et Mélisande marque une réaction légitime, naturelle, fatale, — je dirai même vitale, — du génie français contre l’art étranger, surtout contre l’art wagnérien et contre ses maladroits représentans en France.

« Le drame wagnérien répond-il, d’une façon parfaite, au génie allemand ? Je n’en crois rien ; mais c’est là une question que je laisse à débattre aux musiciens allemands. Pour nous, ce que nous avons le droit d’affirmer, c’est que le drame wagnérien ne répond en rien à l’esprit français : ni à son goût artistique, ni à sa conception du théâtre, ni à son tempérament musical. Il a pu s’imposer par conquête, il a pu, il peut encore dominer l’esprit français par le droit du génie victorieux ; rien ne peut faire qu’il ne soit et ne demeure un étranger chez nous[1]. »

Resterait à savoir, — et nous ne traitons pas ici la question, — si Pelléas et Mélisande, à plus d’un égard, est une œuvre aussi française que cela, si le changement qu’elle apporte ou qu’elle annonce est bien celui qu’il aurait fallu, qu’il faut encore souhaiter. Une chose au moins est certaine, c’est que le drame musical, une fois de plus, semble près de se transformer. Le rapport qui le constitue essentiellement (le rapport entre la poésie et la musique) est peut-être un problème éternel. Wagner en a proposé une solution : la solution par l’orchestre, par la symphonie, la solution par le nombre. Musique-foule, avait dit naguère, et très profondément, Amiel, parlant de la musique de Wagner. En cela cette musique est bien de son temps, et du nôtre ; elle y correspond, elle en rend témoignage. Mais d’autres époques pourront susciter d’autres témoins, et les croire. Après la pluralité, il n’est pas impossible que l’unité reprenne l’avantage. Pour nous, au terme de ces études, si nous regardons en arrière et si nous mesurons le chemin, nous verrons qu’il nous a conduit à l’opposé de notre point de départ. Depuis la monodie vocale de l’antiquité jusqu’à la polyphonie instrumentale moderne, toute l’évolution de la musique, en dépit de quelques arrêts ou de quelques retours, a tendu vers l’accroissement du nombre. Et sans doute il ne viendrait à l’esprit de personne de préférer ou de comparer seulement quelques mesures de je ne

  1. M. Romain Rolland : Musiciens d’aujourd’hui, 1 vol., Hachette, 1908.