Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rancunes dont les effets sont durables ; certains produits boycottés ont été remplacés par des articles similaires venus de pays concurrens ; la Russie a vendu à l’Empire ottoman des sucres et des naphtes ; l’Italie n’a rien négligé pour envoyer dans les ports turcs des échantillons et des voyageurs. Le commerce français a malheureusement trop peu profité de ces circonstances favorables ; partout les comités de boycottage s’adressaient à nos consuls, la clientèle réclamait des articles français, les Chambres de commerce françaises de Turquie multipliaient leurs appels, un grand courant de sympathie portait vers nous le peuple turc et pouvait nous aider à reconquérir des marchés où jadis notre commerce régnait en maître : « La France n’a pas su profiter de l’occasion exceptionnelle que le boycottage lui offrait, écrit M. Ernest Giraud, président de la Chambre de commerce française de Constantinople…, il y a eu là un manque de décision, de courage, d’initiative, qui montre notre commerce bien peu armé pour affronter l’étranger. » Sans insister sur cette triste constatation, retenons que, même la crise passée, le boycottage peut encore faire sentir ses effets nuisibles au peuple contre lequel il a été dirigé.

Le succès du boycottage en Chine et en Turquie est un exemple qui sera, qui a déjà été suivi. Les grandes nations de civilisation européenne dont la fortune est fondée sur l’industrie et le commerce ne peuvent se passer de débouchés pour écouler les produits de leurs immenses manufactures ; pour vivre, elles ont besoin de vendre ; leur fermer un marché important, c’est les atteindre dans leurs intérêts essentiels ; une grève générale des consommateurs, si elle était possible, les acculerait à une faillite rapide. Or l’expérience récente vient de montrer qu’il peut y avoir des grèves partielles d’acheteurs contre lesquelles ni la diplomatie, ni les cuirassés, ni les armées ne peuvent rien. La leçon ne sera pas perdue pour les peuples qui n’ont pas encore organisé leur production industrielle et qui achètent les articles fabriqués par les autres ; l’exemple de la Chine et de la Turquie amis à leur disposition un formidable instrument d’émancipation. On sait que, aux Indes, le partage du Bengale en deux provinces a violemment irrité les indigènes non musulmans dont le mécontentement s’est traduit par un essai de boycottage des produits anglais. Le mouvement swadeshi est un mouvement de nationalisme économique ; jusqu’à présent l’administration anglaise a