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Je trouvai l’article conforme à mes vues, excellent dans son tour optimiste, et je me rendis à Saint-Cloud, au Conseil, à neuf heures du matin, résolu à obtenir de mes collègues la consécration officielle de ce que l’intelligent écrivain avait si vaillamment exprimé. Le Bœuf ignorait comme tous les autres ministres l’envoi de la demande de garanties. Dans l’antichambre de la salle du Conseil, il rencontre le prince impérial accompagné d’un aide de camp. L’aide de camp lui dit d’un air superbe : « Ce n’est pas fini ! Nous demandons des garanties ; il nous en faut ! » Le Bœuf bondit : « Des garanties ? qu’est-ce que cela signifie ? Que s’est-il passé ? Il y a donc du nouveau ? » Il entre comme un furieux dans la salle du Conseil, se dirige vers Gramont et moi, qu’il aperçoit en conversation debout devant une fenêtre, et nous interpelle d’un accent de colère : « Qu’y a-t-il donc ? Qu’est-ce que ces garanties ? La querelle recommence et je l’ignore ? Mais j’ai arrêté mes préparatifs ! vous ne savez pas quelle terrible responsabilité pèse sur moi. Cela ne peut pas durer, il faut absolument que je sache, ce matin, si c’est la paix ou la guerre. »

Le Bœuf avait jusque-là assisté à nos Conseils muet et sans pousser à la guerre. Même une fois, Chevandier, étant revenu sur notre devoir de ne rien négliger pour préserver la paix, Le Bœuf, qui était son voisin, lui dit, en lui tapant sur la jambe : « Ne craignez pas d’insister, c’est l’avis de l’Empereur. » Ce jour-là, il entra dans la discussion en bourrasque. A peine Gramont a-t-il fini de donner lecture des divers documens reçus ou expédiés depuis la dernière séance et notamment des dépêches de la soirée, que Le Bœuf demande, en termes ardens, le rappel immédiat des réserves : « après quoi, il ne s’opposait pas à ce qu’on fit de la diplomatie autant qu’on le voudrait. Chaque jour que vous me faites perdre, s’écria-t-il, compromet les destinées du pays. » L’appel des réserves qu’il nous demandait, c’était la guerre immédiate, car la Prusse, Benedetti nous en avait prévenus, aurait aussitôt répondu par la mobilisation de son armée. Au moment de l’affaire du Luxembourg, Niel, ayant envoyé Le Bœuf à Metz pour compléter quelques approvisionnemens eu prévision d’une rupture, avait failli ainsi tout précipiter. L’appel des réserves, c’était donc la guerre certaine. Devions-nous vouloir la guerre ? Nous n’avions pas à rechercher s’il convenait ou non de lancer une demande de garanties qui était à cette heure entre les mains du roi de Prusse ; nous ne pouvions pas délibérer