Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendue responsable d’une retraite considérée comme une capitulation devant la France, et Bismarck abandonnerait ses fonctions.

Le Roi ayant demandé si on n’avait pas reçu des nouvelles de Werther, Abeken répondit qu’en effet un rapport était arrivé dans la matinée, qu’il l’avait transmis à Berlin, mais que les deux ministres avaient pensé que ce document n’était pas de nature à être communiqué officiellement à Sa Majesté : « Eh bien ! dit le Roi, supposez un instant que nous soyons de simples particuliers et donnez-m’en lecture. » Le rapport de Werther, surtout lu et interprété par les agens de Bismarck, produisit sur lui une violente indignation. « A-t-on jamais vu une pareille insolence ? écrit-il à la Reine. Il faut alors que je paraisse devant le monde comme un pécheur repentant dans une affaire que je n’ai pas mise en mouvement, conduite et menée, mais c’est Prim et on le laisse hors du jeu. Malheureusement, Werther n’a pas quitté tout de suite la salle après une pareille prétention, et envoyé ses interlocuteurs au ministre Bismarck. Ils sont même allés si loin qu’ils ont dit qu’ils chargeraient Benedetti de cette affaire. Malheureusement, il faut conclure de ces procédés inexplicables qu’ils ont résolu coûte que coûte de nous provoquer et que l’Empereur malgré lui se laisse conduire par ces faiseurs inexpérimentés. »

Le premier mouvement calmé, le Roi fut bien obligé de s’apercevoir qu’il ne s’agissait pas d’une proposition officielle du gouvernement français, mais d’une simple suggestion de deux ministres parlant en leur nom personnel. Il avait pu d’ailleurs constater, le matin même, que Benedetti, dont les instructions étaient postérieures à la conversation avec Werther, n’avait pas, comme l’annonçait à tort celui-ci, reçu l’ordre de demander une lettre d’excuses. Son véritable ressentiment fut alors contre Werther plus que contre nous. En accueillant notre désir, l’ambassadeur avait implicitement admis que son Roi avait quelques torts à réparer, ce qui était en effet dans notre pensée et dans la sienne, et le Roi, blessé qu’il ne se fût pas révolté contre cette hypothèse, écrivit à Abeken : « Il est cependant indispensable de chiffrer à Werther que je suis indigné de la suggestion (zumuthung) Gramont-Ollivier et que je me réserve l’ultérieur. » Cet ultérieur ne serait jamais venu, et les « faiseurs inexpérimentés » lui auraient montré qu’ils respectaient trop leur propre dignité pour offenser celle des autres. Le rapport de