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devenir ennemis. » Comminges stupéfait s’écrie : « La guerre est donc déclarée ? — Mais oui, répondit Reder, d’après un télégramme reçu cette nuit, le Roi a refusé de recevoir le comte Benedetti et lui a fait savoir qu’il rejetait les demandes de la France. » La première parole de Guitaud, dès qu’il fut auprès du président Doubs, fut : « La guerre est donc déclarée ? — C’est, lui répondit celui-ci, ce que M. le ministre de Prusse vient de m’apprendre. »

Ainsi, dans la journée du 14, avant que notre presse et notre Gouvernement eussent prononcé un seul mot, d’un bout de l’Allemagne à l’autre, d’instinct, la foule interprétait le télégramme comme signifiant : Guerre. Et ce mot terrible était prononcé par l’Allemagne alors qu’à Paris, le Cabinet luttait avec énergie et non sans espoir pour le maintien de la paix.


X

Depuis la séance de la Chambre jusqu’assez tard dans la nuit, le 13, en l’absence de nouvelles définitives d’Ems et de Berlin, la fermentation des esprits devenait à chaque minute plus violente à Paris. Notre réponse à l’interpellation soulevait une réprobation presque générale. Le Pays disait, dans un article qu’on s’arrachait : « Nous sommes dans la situation de ces officiers qui désespèrent de leurs chefs et qui, brisant leur épée, la jettent en morceaux. C’est avec tristesse, presque avec dégoût, que nous consentons encore à prendre notre plume, cette plume impuissante à conjurer la honte qui menace la France. C’est qu’en effet, et dans une naïveté sans égale, M. le premier ministre a cru bien sincèrement que tout peut, que tout devait s’arranger par la dépêche du prince Antoine. Or, que vient faire, dans tout cela, ce vieillard grotesque et cacochyme, ce père Ducantal, ce père Antoine, comme on l’appelle déjà, à qui personne n’adresse la parole, que nul ne connaît, et qui n’a rien à dire ? Son fils, le prince Léopold, est plus que majeur, puisqu’il a trente-cinq ans, et n’a que faire des radotages de son père. Il ne l’a pas consulté pour accepter, il n’a pas à le consulter pour refuser. C’est à la Prusse que M. de Gramont s’adresse, et c’est le père Antoine qui répond. Mais rien ne serait aussi comique, si toutefois le comique doit se trouver dans l’abaissement de notre pays. Et c’est cette prix-là, sans garantie, sans caution, reposant