Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Espagne impliquait une garantie d’avenir plus que suffisante. Nous avions atteint le but que nous nous étions donné. Il n’y avait plus qu’un moyen d’amener la guerre, c’était de sortir de l’affaire désormais réglée selon notre gré et de soulever la querelle de nos griefs généraux contre la Prusse : j’étais résolu à n’y pas consentir.


XII

Le 14 au matin, tranquille enfin, après tant de tourmens, je me mis à rédiger la déclaration que j’entendais soumettre le soir à Saint-Cloud, au Conseil des ministres. J’ai gardé ce que j’en avais écrit : « Il y a huit jours, le gouvernement français déclarait à cette tribune que, quel que fût son désir de conserver la paix du monde, il ne souffrirait pas qu’un prince étranger (reproduire nos paroles du 6…). Aujourd’hui nous avons la certitude qu’un prince étranger ne montera pas sur le trône d’Espagne. Cette victoire nous est d’autant plus précieuse qu’elle n’a été obtenue que par la force de la raison et du droit et qu’elle n’a pas été préparée par de sanglans sacrifices. En présence de l’enthousiasme patriotique que notre attitude avait éveillée, il eût été facile de mêler une question à une autre et de créer quelque prétexte pour entraîner le pays dans une grande guerre. Cette conduite ne nous eût paru digne ni de vous, ni de nous ; elle nous eût aliéné les sympathies de l’Europe et, à la longue, celles du pays. Lorsque nous marcherons vers un but, nous ne vous le cacherons pas, nous le montrerons clairement. Nous avons demandé votre concours contre une candidature prussienne au trône d’Espagne. Cette candidature est écartée ; il ne nous reste plus qu’à reprendre avec confiance les œuvres de la paix… »

J’allais continuer en parlant du rôle d’Olozaga et de l’Espagne, lorsque la porte s’ouvre et l’huissier annonce : Son Excellence le ministre des Affaires étrangères. A peine le seuil franchi, avant même d’être parvenu au milieu de mon cabinet, Gramont s’écrie : « Mon cher, vous voyez un homme qui vient de recevoir une gifle. » Je me lève : « Je ne vous comprends pas, expliquez-vous ! » Il me tend alors une petite feuille de papier jaune, que je verrai éternellement devant mes yeux. C’était un télégramme de Lesourd, expédié de Berlin le 13 après minuit, ainsi conçu :