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délicieuses soirées comme il y en a à Paris, avant qu’août ait tout à fait brillé et flétri les feuilles. L’air était chaud sans être pesant ; le scintillement des étoiles était moins vif que dans notre Midi, il était plus doux ; la Seine coulait mollement d’un flot alangui ; le long du quai et dans les allées du bois de Boulogne, où ne se faisait pas sentir l’agitation violente de la ville, régnait une sérénité contagieuse ; des promeneurs insoucieux circulaient en riant et en causant ; c’était la paix, source de la joie et de la vie, la paix, sœur des Muses et des Grâces ; c’était l’aimable et féconde paix, et non la guerre, la moissonneuse terrible, hélas ! que la nature conseillait. J’entendis sa voix et j’en fus comme bouleversé. Que j’aurais voulu m’évader du pouvoir et me perdre dans cette foule insoucieuse ! Sous l’empire de cette émotion, je repris à fond la question, j’alignai de nouveau les argumens les uns en face des autres, insistant surtout sur les argumens pacifiques. Des gouttes de sueur nées de mes angoisses intérieures me baignaient le front ! Et in agonia ego. Mais j’avais beau sophistiquer, argumenter, me débattre contre l’évidence, elle m’étreignait, me brisait, me subjuguait, et j’en revenais toujours à la même conclusion : La France vient d’être insultée volontairement, grossièrement ; nous serions des gardiens infidèles de son honneur si nous le supportions. Lorsqu’un saint est souffleté, il se met à genoux et tend l’autre joue. Pouvions-nous proposer à la nation de prendre cette altitude ? Il y a quelque chose de grand et de victorieux, je le savais, dans une insensibilité courageuse aux injures « par laquelle elles retournent et rejaillissent entières aux injurians. » Mais ces dédains qui font la vertu des individus ne sont-ils pas la dégradation des peuples ?

Enfin ma voiture s’arrêta au perron du château de Saint-Cloud. J’étais le premier arrivé. Je trouvai l’Empereur seul. Il m’exposa en peu de mots le motif de cette convocation imprévue, puis il me dit : « Réflexion faite, je trouve peu satisfaisante la Déclaration que nous avons arrêtée tantôt. — Je pense de même, Sire ; si nous la portions à la Chambre, on jetterait de la boue sur nos voitures et on nous huerait. » Après quelques momens de silence, l’Empereur reprit : « Voyez dans quelle situation un gouvernement peut se trouver parfois ; — n’aurions-nous aucun motif avouable de guerre, nous serions cependant obligés de nous y résoudre pour obéir à la volonté du pays ! »