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ces derniers temps. Il y a une Ame levantine, qui est la résultante de toutes ces ressemblances. Je voudrais essayer de dire ce que j’en ai entrevu ; et, après avoir ainsi dégagé les caractères communs de ces races, choisir parmi elles, pour les étudier à part, les deux ou trois types qui m’ont paru les plus réussis et les plus signifians.


II

Si les Chrétiens et les Juifs constituent la véritable élite intellectuelle de l’Orient, il est incontestable aussi qu’ils paient chèrement la rançon de leur supériorité. Ce ne sont pas seulement leurs compatriotes musulmans, ce sont peut-être davantage encore les Occidentaux qui leur témoignent une antipathie plus ou moins déclarée.

Dès le premier abord, ces Levantins nous choquent par un certain manque de dignité, un mélange de platitude et d’insolence, une obséquiosité que rien ne lasse. Telle est l’âme de l’esclave : cynique, intempérant dans la flagornerie comme dans l’injure, il poursuit son idée avec une ténacité inouïe, il sait être prodigieusement volontaire, tout en déguisant sa volonté. Qu’il s’agisse d’une dame grecque ou syrienne qui a résolu de forcer les portes de tel salon européen particulièrement difficile d’accès, ou d’un commis de magasin qui veut vous insinuer sa marchandise, l’obstination est pareille. S’ils se sont juré de vous faire capituler, ils y parviendront, coûte que coûte ; ils auront, comme on dit, votre peau. Si ce n’est pas de gré, ce sera de force ; si ce n’est pas par la flatterie, ce sera par l’importunité, voire par l’intimidation. Pour peu qu’on leur résiste, on sent en eux une irritation sourde, une colère qui s’emporte contre l’obstacle, qui s’exaspère bientôt jusqu’à la frénésie. Ils finissent par se piquer au jeu et, tout intérêt mis à part, par s’acharner à la victoire, même désastreuse, pour le seul plaisir de vaincre. Ce leur est une jouissance de ployer une volonté adverse : revanche sournoise de l’esclave dont la ruse sans cesse aux aguets s’évertue à faire passer le maître précisément par le chemin où il bronche et renâcle le plus ! Je vois encore la fureur d’un commis arménien qui, au Grand Bazar de Stamboul, avait parié avec des camarades de me vendre une de ses broderies. J’avais surpris ses clins d’yeux : d’abord, je ne voulus rien entendre, puis, excédé