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sémitique n’a pas de l’honneur la même conception que nous. Il faut tenir compte enfin de l’effroyable oppression qui pesait alors sur presque tout l’Empire et qui, dans une certaine mesure, excuse les pires représailles. Mais on aura beau plaider les circonstances atténuantes : quelle que soit la noblesse du but, la légitimité de la vengeance, il y a dans une action comme celle que je viens de rapporter quelque chose de répugnant pour une conscience occidentale, et dont rien ne peut, à nos yeux, racheter la bassesse.

Je ne veux point tirer de ce fait particulier des conséquences qu’il ne comporte pas : il serait absurde de généraliser. Néanmoins, il est clair, pour quiconque est un peu familiarisé avec les races levantines, que des actes semblables sont bien dans leur tempérament et ne provoquent point chez elles une réprobation trop vive. En tout cas, elles nous froissent par des accrocs perpétuels à nos règles, à nos convenances sociales ou mondaines. Allons-nous en conclure que les Levantins manquent de tact autant que de moralité ? Ce serait une erreur. Ils sont même doués d’une espèce de tact qui est très fin et très intelligent. Mais, encore une fois, cette espèce-là n’est pas la nôtre. C’est pourquoi ils mettent souvent notre amour-propre à une si rude épreuve, ils enfoncent intrépidement leurs deux pieds dans tous les plats, sans le moindre souci de nous éclabousser. Je ne vois guère que les Turcs de la haute classe qui soient exempts de ce travers et qui ne commettent jamais ce que nous appelons un « impair. » Les Juifs orientaux, en revanche, y excellent ; ils ont la « gaffe » obstinée et cruelle, si cruelle même qu’on se demande s’ils ne le font pas exprès. Dans une école israélite, le professeur, qui fait une leçon d’histoire, me convie à interroger les élèves. Je décline cet honneur. Alors, il interroge lui-même : « Par qui la France a-t-elle été vaincue en 1870 ? — Pouvez-vous me citer quelques batailles perdues par les Français ? — Qu’est-ce que la Capitulation de Sedan ?… » Un peu interloqué d’abord, je fis remarquer, après la troisième réponse, qu’il y avait dans l’histoire de notre pays des dates plus glorieuses que l’année 1870. A quoi le professeur, triomphant : « Oui, mais 1870, c’est la date de la fondation de la République ! » Je compris que j’avais tort de me formaliser, et que, si le malheur de l’un fait quelquefois le bonheur de l’autre, ce Juif, en me le rappelant, n’y avait mis aucune méchante intention.