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— et il y en avait, Dieu merci ! — eurent beaucoup de peine à placer leur mot au milieu de ce tintamarre oratoire. Les autres parlaient de tout à tort et à travers, pour le seul délice de parler, d’avoir un auditoire et de se produire en public. Les sophistes de l’antiquité durent goûter une ivresse pareille, au lendemain d’un édit impérial qui leur rendait la parole. Quand je songe à ces hâbleries imprudentes, ma pensée revient encore à ce jeune Copte qui m’accompagnait à travers les nécropoles de Thèbes : c’était vraiment ce qui s’appelle « un type. » Comme il me priait d’inscrire mon nom sur son registre des voyageurs, je rencontrai, en feuilletant les pages, l’illustre paraphe de M. Anatole France : je ne pus retenir une exclamation respectueuse. Sur quoi, mon Copte, avec une exquise négligence d’accent :

— En effet, c’est la signature d’Anatole France ! Je lui ai montré nos ruines. D’ailleurs, j’avais lu ses romans. C’est un bon écrivain !

L’imprévu de ce jugement littéraire, prononcé par un rustre de Karnak, me fit sourire. Mais celui-ci, se méprenant sur le sens de mon ironie et craignant de se compromettre, s’empressa de corriger :

— Oui !… un assez bon écrivain !

Sans doute, les propos d’un drogman à peine dégrossi et habitué à faire le loustic devant les touristes, ne prouvent pas grand’chose touchant la mentalité générale des Levantins instruits. Si je les rapporte néanmoins, c’est qu’ils symbolisent à merveille, sous une forme caricaturale, maints jugemens analogues formulés devant moi, avec la même désinvolture, par des Orientaux cultivés !

En insistant sur ces défauts, je n’ai nullement l’intention de ridiculiser des gens dont l’unique tort à nos yeux est, en somme, de ne pas nous ressembler. La critique peut d’ailleurs être facilement retournée contre nous, et nous nous y prêtons de bonne grâce. Je me borne aux défauts les plus superficiels et les plus apparens, à ceux qui nous indisposent tout de suite, dès que nous prenons contact avec les Levantins. Un négociant ou un industriel en rapport d’affaires avec eux allongerait certainement la liste et chargerait davantage ses griefs.

On reproche d’habitude à nos commercans de trop dédaigner le marché oriental et on oppose à leur inertie l’audace aventureuse des Allemands. Il est certain que les nôtres pèchent