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lui dirai : « Papa, je t’ai gagné, en une après-midi, vingt-cinq livres françaises ! » C’était, en effet, le prix de la demi-pension pour une année. — Bons calculateurs, ils sont aussi, dans toutes les autres matières, d’excellens élèves. Un peu comme nos Juifs d’Europe, il faut qu’ils remportent tous les prix, — même le prix d’instruction religieuse catholique. Il est d’usage, en effet, dans les établissemens congréganistes, que toutes les compositions, y compris celle en instruction religieuse, comptent pour le prix d’excellence. Le jeune Israélite studieux, qui ne veut pas perdre de points pour ce prix important, suit les cours de catéchisme avec ses camarades catholiques, compose avec eux et a la joie de les battre sur leur propre religion : là encore, ils sont premiers. Ils y mettent un acharnement et un sérieux, qui ne vont pas sans une pointe de malice et d’ironie. Forts de leurs succès, ils poussent au professeur des objections captieuses, qu’ils développent avec beaucoup de logique et, quelquefois même, un certain savoir. La prudence des religieux doit interrompre ces joutes de dialectique qui deviendraient facilement indécentes.

Certains de ces jeunes gens, — les plus riches ou les mieux doués, — ne se satisfont pas de l’instruction qui leur est offerte dans les écoles orientales. Ils viennent, pour la plupart, faire leurs études en France, soit dans nos Facultés, soit à l’Ecole Normale d’Auteuil : ce sont les futurs médecins, professeurs ou instituteurs. Ils s’habituent complètement, dans notre pays, à la vie européenne. Il arrive souvent qu’ils y prennent femme : ils épousent des Juives françaises, bientôt, les voici de retour dans leur milieu natal, avec des diplômes, une situation, un nouveau genre d’existence, plus moderne et plus raffiné, qui leur confèrent un réel prestige aux yeux de leurs coreligionnaires, tout en les éloignant d’eux. Quoiqu’on leur recommande de ne pas rompre en visière trop ouvertement avec les Juifs rétrogrades, de ménager leurs susceptibilités religieuses, ils sont presque toujours suspects aux dévots. Alors, avec leur désir bien naturel d’exercer une action sur leur entourage, ils sont obligés de se rejeter sur les non-Juifs, les Chrétiens et les Musulmans. Ils sollicitent de préférence ces derniers, comme étant moins cultivés et, partant, plus avides d’instruction. Sous l’ancien régime, ils endoctrinaient clandestinement tout ce qui aspirait à la ruine de l’absolutisme hamidien. Et ils y réussissaient fort bien, le Juif étant, dans tous les pays du monde, un merveilleux