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Valincour blâme vigoureusement cette sorte d’introduction historique par où l’on sait que débute le roman de Mme de La Fayette : « Je ne sais s’il vous est arrivé la même chose qu’à moi. Mais en lisant cette longue description de la Cour qui est au commencement, je crus que j’allais lire l’histoire de France et j’oubliai la princesse de Clèves dont je n’avais vu le nom qu’au titre du livre. Quand je retrouvai cette princesse au bout de trente-six pages, je sentis presque la même surprise que le prince de Clèves lorsqu’il la rencontre chez le joaillier… »

Il raille certaines invraisemblances : la jeune Mlle de Chartres (celle qui deviendra la princesse de Clèves) a été envoyée par sa mère, avec une suivante, chez un joaillier pour assortir des pierreries : « Je n’ai vu personne qui n’ait été surpris de cette aventure du joaillier. Les femmes prudes ne peuvent pardonner à Mme de Chartres d’avoir envoyé sa fille dans un milieu où on ne la connaissait pas et où elle ne connaissait personne. Pourquoi ne pas aller avec elle ? Les femmes habiles soutiennent qu’on n’a jamais laissé à une fille de seize ans le soin d’assortir des pierreries. » Et cette dernière réflexion est une de celles qui auraient dû avertir le public que le livre était plutôt d’un homme du monde que du Père Bouhours, quelque mondain, je le concède, que fût le Père Bouhours lui-même.

« M. de Clèves, dit Mme de La Fayette, fut si touché de l’air modeste qu’il avait remarqué dans ses actions… » — « Je ne devine point quelles actions pouvait avoir tant fait (sic) Mlle de Chartres chez le joaillier, » remarque Valincour. — Il a tort. On voit la modestie d’une femme à la moindre action et rien qu’à celle de marcher dans la rue ; et M. de Clèves doit être de ceux qui voient tout de suite ces choses-là.

Valincour ne trouve pas Mme de Clèves assez intelligente ; on pourrait même hasarder qu’il la trouve bête : « L’auteur, qui a décrit jusqu’aux cheveux blonds de la princesse de Clèves et qui a pris soin de faire remarquer en plusieurs endroits qu’elle est extrêmement belle, ne dit nulle part qu’elle avait de l’esprit. Peut-être avait-il lieu de craindre qu’on ne l’en eût pas cru sur sa parole. En effet, depuis le commencement jusqu’à la fin, cette princesse paraît d’une simplicité extraordinaire… Un homme des plus agréables et des plus polis la comparait dernièrement à l’Agnès de Molière, et en vérité, la manière dont sa mère l’instruit en l’amenant à la Cour, les sermons que lui font M. de Clèves