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premières « nouvelles » du jeune écrivain. Sous l’atmosphère générale d’inquiétude où de terreur qui les enveloppait, les figures y étaient dessinées avec une vérité d’autant plus saisissante qu’elle était plus simple et plus naturelle. Tout au plus avait-on toujours l’impression d’un certain effort trop constant à cacher l’artifice, l’adresse du « métier : » on devinait que M. Andréief mettait, à son œuvre, plus d’intelligence et de volonté que de véritable passion intérieure. Mais n’avait-on pas reproché un défaut analogue aux premiers récits du comte Tolstoï ? Et puis, qu’importaient les sentimens personnels de l’auteur pourvu que son œuvre fût belle, et produisît l’effet qu’on en attendait ?

Si bien que, d’emblée, M. Andréief s’est trouvé admis par le public russe à recueillir la succession de M. Gorki. Et sa chance a voulu que, presque aussitôt, le cours des événemens politiques de son pays lui fournît une occasion merveilleuse et inespérée de pousser son talent dans la voie où il l’avait, dès l’abord, engagé. L’effroyable guerre russo-japonaise, la révolution intestine qui l’a suivie, les attentats nihilistes et leur répression, on conçoit sans peine quelle riche matière tout cela n’a pu manquer d’offrir au poète de l’« épouvante, » en même temps qu’une législation nouvelle lui accordait, pour le choix comme pour le traitement de ses sujets, une liberté que n’avaient point osé rêver les écrivains qui l’avaient précédé. Aussi convient-il d’avouer que, pendant trois ou quatre ans, la production littéraire du jeune auteur a égalé, ou peut-être parfois dépassé, les anciens recueils de ses contes. Je me rappelle, notamment, l’histoire d’un gouverneur de province qui, ayant fait exécuter un groupe de nihilistes, a été averti que les compagnons de ses victimes l’ont condamné à mort : plusieurs jours de suite, des copies de cette sentence fatale lui parviennent, il ne sait d’où ni comment, envoyées par la poste avec son courrier, ou bien mystérieusement déposées sur son bureau, sous son assiette à table, et jusqu’auprès de son lit. Le malheureux ne peut plus douter de l’imminence d’un danger contre lequel il se sent désarmé ; et ainsi il vit, des jours, des semaines, guettant l’approche de son meurtrier, tandis qu’autour de lui l’existence continue son train accoutumé, avec une série d’obligations professionnelles ou mondaines qui ne le divertissent, un instant, de son angoisse que pour l’y ramener bientôt plus cruellement. Il y a là une peinture, longue et minutieuse, de l’invasion d’un être humain par l’idée de la mort, une subtile analyse des progrès de l’effroi mêlée à la reconstitution pittoresque d’un milieu social, qui soutiendraient, à coup sûr, la comparaison avec le drame