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opérée en dehors de lui. L’erreur était donc manifeste : elle n’était certainement pas intentionnelle et elle était inoffensive, puisque le raisonnement le plus élémentaire et l’exposé formel de notre déclaration, qui paraissait en même temps au Journal officiel, la corrigeaient à la fois. Si je m’en étais aperçu, je l’aurais sans doute relevée, mais accablé de lassitude et de tristesse, j’avais écouté la lecture d’une oreille distraite et n’y avais point pris garde. Elle n’eût pas échappé à Gramont ; mais retenu aux Affaires étrangères par ses conférences avec les ambassadeurs, il n’arriva que bien après.


V

Du reste, personne ne s’aperçut de l’inexactitude, pas même l’opposition, si acharnée à nous créer des difficultés. La guerre terminée, ce fut à qui renierait sa participation aux actes qui l’avaient amenée. Le parti bonapartiste, replacé sous la direction de ses anciens chefs, adopta la tactique de rejeter toute la responsabilité sur le ministre libéral, dénoncé comme le véritable auteur de nos malheurs[1]. Dréolle fut un des meneurs de cette campagne. Il exhuma comme argument nouveau l’inexactitude du rapport du 15 juillet, auquel personne ne pensait plus : renversant les rôles, il imputa à Gramont l’erreur commise par lui-même, et donna à cette erreur inoffensive et involontaire un caractère de gravité prémédité et exceptionnel : « C’est sciemment, dit-il, que Gramont a opéré des suppressions dans le texte de la dépêche et l’a reportée au 7, et, comme c’est sur cette dépêche antidatée et altérée que la guerre a été engagée, Gramont a trompé la Commission et par elle la Chambre et le pays. » L’autorité d’un Dréolle n’aurait pas suffisamment accrédité cette invention ; il fallait obtenir l’assentiment de Talhouët. Si le véritable Talhouët eût encore existé, on n’y fût point parvenu ; mais le pauvre homme, frappé au cerveau, inconsolable du fardeau moral que son rapport faisait peser sur lui, n’était plus

  1. « Il faut que quelqu’un, de l’Empereur ou du ministère, reste et demeure responsable d’une guerre trop légèrement entreprise. Eh bien ! il ne nous plaît pas que ce soit l’Empereur, parce que l’Empereur n’y est pour rien et que les seuls coupables sont les libéraux vaniteux du premier cabinet parlementaire. Quiconque excuse M. Emile Ollivier doit se rendre compte qu’il condamne l’Empereur. » CASSAGNAC, Pays du 12 janvier 1876.