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chose d’imprévu et de soudain. » Cette formule résume le débat. La guerre a été imprévue et soudaine, parce qu’elle était toute de défense de notre part.

Il est vrai que notre déclaration solennelle de guerre à la tribune a précédé celle de Bismarck. L’explication est facile : se faire attaquer quand il le faut est un des secrets de l’art d’Etat. Certains diplomates ont dû leur renom à leur dextérité à provoquer les querelles opportunes. Ainsi Charles II d’Angleterre avait à son service Downing qu’il envoyait comme ambassadeur à la Haye chaque fois qu’il voulait se faire attaquer par les Provinces-Unies, et ce célèbre querelleur atteignait toujours son but. Bismarck, de tout temps, s’attribua à lui-même ce talent. Au milieu du conflit de la Prusse avec l’Electeur de Hesse, le ministre des Affaires étrangères Bernstorff lui demandait : « Que faire ? — Si vous voulez la guerre, répondit Bismarck, nommez-moi votre sous-secrétaire d’État, et je me fais fort de vous servir dans quatre semaines une guerre civile allemande de la meilleure qualité. » Par sa dépêche d’Ems, il s’était montré supérieur encore au célèbre querelleur Downing : il nous a réduits à prendre l’offensive qu’il désirait, car c’est l’offensé et non l’offenseur qui envoie le cartel, et nous n’avons pas été les agresseurs quoique nous ayons pris l’initiative des hostilités. Ainsi que l’écrivait Louis XIV à Saint-Géran, son ambassadeur à Berlin (13 février 1672) : « L’agression, selon l’usage reçu entre les nations, ne se règle point par l’attaque, mais par les injures qui ont nécessité de la faire. » Or, les injures qui ont nécessité de faire la guerre n’ont pas été lancées par nous. « La guerre est déclarée, écrivait le Dagblad de la Haye, c’est la Prusse qui l’a voulue. »

Personne n’a le droit d’accuser notre gouvernement d’avoir, de propos délibéré, sans motif, dans un intérêt personnel, pour satisfaire ses passions, pour étayer une dynastie, pour rendre un enfant populaire, arraché à l’improviste et par guet-apens deux peuples de leurs foyers pacifiques et de les avoir précipités l’un sur l’autre. La guerre a surpris l’Empereur et ses ministres dans des œuvres et des pensées de paix ; la candidature Hohenzollern n’a été ni un prétexte, ni même une occasion ; elle a été la cause unique du conflit, et si Bismarck ne s’était pas vengé par un outrage d’un désistement opéré à son insu et malgré lui, s’il ne nous avait point placés entre le déshonneur et le champ de bataille, nous n’aurions jamais commencé les hostilités.