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malheureux ne jette pas dans le désarroi, son échec était tel qu’il eut un moment de prostration. Il l’a raconté dans ses Souvenirs : « Ma première pensée fut de donner ma démission. Après toutes les provocations offensantes qui s’étaient déjà produites, je voyais, dans ce recul auquel on nous forçait, une humiliation pour l’Allemagne, et je ne voulais pas en prendre la responsabilité officielle. L’impression de l’honneur national blessé par cette retraite imposée me dominait tellement que j’étais déjà décidé à envoyer à Ems ma démission. Je considérais cette humiliation devant la France et ses manifestations fanfaronnes comme pire que celle d’Olmütz. Le fait d’Olmütz pourra toujours trouver son excuse dans l’histoire antérieure à laquelle nous avions été mêlés et dans l’impossibilité où nous nous trouvions alors de commencer une guerre. J’estimai que la France escompterait le renoncement du prince comme une satisfaction qui lui était accordée. J’étais très abattu. Ce mal envahissant qu’une politique timide me faisait redouter pour notre position nationale je ne voyais pas le moyen de le guérir sans nous engager maladroitement dans la première querelle venue, ou sans en provoquer une artificiellement. Car je regardais la guerre comme une nécessité à laquelle nous ne pourrions plus nous dérober honorablement. Je télégraphiai aux miens à Varzin de ne pas faire les malles, de ne pas partir ; je serais de retour auprès d’eux dans quelques jours. Je croyais à ce moment à la paix. Mais je ne voulais pas assumer la responsabilité de défendre l’attitude par laquelle on aurait acheté cette paix. J’abandonnai donc mon voyage d’Ems et priai le comte Eulenbourg de s’y rendre pour exposer à Sa Majesté mon point de vue[1]. »

Il chargea Eulenbourg de porter le grand coup habituellement efficace de la démission et de dire au Roi « que Bismarck considérait la guerre comme nécessaire et qu’il retournerait à Varzin si cette guerre était évitée[2]. » Il devança l’arrivée de son messager par un télégramme dans lequel il exprimait déjà sa résolution. « Il passa la nuit sans dormir, » ajoute Keudell. On le comprend. Se décider à la guerre était facile, mais il n’était pas un Frédéric disposant à lui seul de l’Etat. Il lui fallait se

  1. Souvenirs de Bismarck, p. 102.
  2. Ce sont les propres paroles de Bismarck dans un rapport du 25 septembre 1888 inséré dans le Journal officiel. C’est un aveu aussi important que celui de la dépêche d’Ems, et qui cependant a passé inaperçu.