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s’acharnait à perdre son amant. Par deux fois sa rancune l’avait dénoncé ; d’abord, à La Chevardière ; à Desmarest, ensuite. Tandis que celui-ci questionnait Donnadieu, elle avait dirigé l’enquête : le personnage mystérieux, l’ennemi, le délateur, c’était Julie, « petite Julie, » venue au ministère, pour accuser. Maintenant, sa lâche vengeance se transformait en infamie ; elle en recevait le salaire, — et pourtant ce Judas en corsage était à peine âgé de seize ans !…

Ecume du ruisseau parisien d’où sortent tant de courtisanes, cette ingénue à cruche cassée avait la morale de la grisette vitrioleuse : son âme de pervertie eût, de nos jours, fait la joie d’un romancier naturaliste ; nos fouilleurs de turpitudes humaines auraient trouvé chez elle leur idéal d’ignominie. Du reste, son inconscience appliquait le talion de l’immanente Justice. A corrupteur de fille, femme corrompue : Julie Basset, à Donnadieu[1].


VI. — UN SERVIABLE JEUNE HOMME

Les trois lettres qu’avait écrites le prisonnier du Temple étaient adressées aux généraux ses protecteurs, Augereau, Masséna, Oudinot : il implorait leurs bons offices, les suppliant de le secourir… Nantie de ce dépôt, l’entremetteuse de trahison courut à la rue des Saints-Pères, et le remit à Desmarest ; Desmarest envoya la correspondance au général Davout.

Dirigeant la police privée des Tuileries, le commandant des grenadiers de la Garde instruisait l’affaire Donnadieu, et le Consul lui avait adjoint Dossonville. L’agent de la rue des Petits-Carreaux prenait, chaque jour, une importance croissante. L’heure paraissait propice aux calculs de cet ambitieux, car une nouvelle conspiration, le Complot des Libelles, venait d’être découverte. En ce moment, circulaient de mystérieux factums appelant à la révolte les « soldats de la Patrie, » incitant l’armée à la rébellion, et traitant Bonaparte de « bâtard, » d’ « embryon de la Corse, » d’ « empoisonneur de Jaffa, » de « fuyard, » de « déserteur. » Insulté par de grossiers outrages, le Consul lâchait la bride à sa colère, malmenait l’impassible Fouché, lui reprochait son incurie, le menaçait de destitution[2]. Quels étaient les auteurs

  1. Archives nationales (Lettre de la citoyenne Basset mère à Desmarest). Le style et l’orthographe de la respectable matrone sont d’une fantaisie incroyable. Voyez la Revue du 1er mai 1908.
  2. Voyez dans la Revue des 15 octobre, 1er et 15 novembre, 1er décembre 1902, notre précédent récit : le Complot de libelles (1 vol. Armand Colin).