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férocement massacré. L’égorgeur de Septembre, détrousseur de cadavres, s’y était vautré dans le sang, et c’était là qu’il avait dépecé « l’impure amie de l’Autrichienne, » cette fière et charmeresse Mme de Lamballe.

Mais en l’an X, la maison de justice renfermait des scélérats d’espèce différente : l’assassin, le voleur, l’escroc, le faussaire, le receleur, « marrons mâles » ou simplement « pris de belle. » Elle enserrait également des gens de lettres. Ces vauriens de folliculaires n’y étaient pas mieux traités que les autres coquins ; ils couchaient dans les immondes dortoirs, et mangeaient à la gamelle commune. Un tel abus de vengeance politique dura ce que durent en France les abus : dans ce pays de la révolte, ils ont seuls la perpétuité. Longtemps, le journaliste d’opposition, le pamphlétaire, le faiseur de caricatures, le chansonnier frondeur eurent ainsi à subir la société des tire-laine ou des chevaliers du surin. Les ministres de la Restauration, pareils à ceux de l’Empire, ne les ménageaient guère… « La plus terrible des bêtes féroces, a dit Plutarque, est l’homme qui unit la passion au pouvoir[1]. »

La Force était en outre un lieu de correction pour les jeunes malfaiteurs, la maison purifiante où la philanthropie les ramenait au bien. Toujours si maternelle, la tendresse administrative prenait grand soin des chers nourrissons ; elle isolait prudemment les « mêmes, » les tenait à l’écart de la Fosse aux Lions, préau où s’ébattaient tant de bêtes sauvages, et ni le « grinche, » ni le « pégriot » n’avaient contact avec cette intéressante jeunesse. « Sachons former l’enfance, » disaient, depuis Rousseau, les pédagogues : nous montrerons bientôt comment les éducateurs de La Force savaient inculquer la sagesse.

Inutile à Fouché, maître absolu au Temple, cette prison bigarrée ressortissait à la Préfecture de police. Dubois y commandait en souverain, et son chef de division, Parisot, en avait la haute surveillance. Fonctionnaire important, ce Parisot étendait sa main puissante sur les « maisons d’arrêt, de justice, de force, de correction, de détention, de mendicité, sises dans le département de la Seine. » Un potentat ! Mais tant de maisons à régenter fatiguaient le pauvre homme, et on l’avait doublé d’un auxiliaire, l’inspecteur Honnein. Or, le citoyen inspecteur

  1. Voyez notamment la brochure du journaliste J. -D. Magalon : Ma translation à la Force (Paris, 1824).