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n’aurions pas été contradictoires ou embarrassés dans notre attitude devant la Chambre et devant le public.

Vers deux heures, je quittai le ministère pour me rendre à pied à la Chambre, à travers le jardin des Tuileries. J’étais profondément triste : il me paraissait évident que la volonté de la Prusse était de nous imposer la guerre et que nous y étions acculés. Cette perspective me désespérait. J’avais à peine fait quelques pas, absorbé dans mes pénibles réflexions, que je fus comme réveillé en sursaut par la voix d’un employé du ministère de l’Intérieur qui me remit une lettre de Chevandier. Cette lettre contenait la copie de la dépêche en clair expédiée par le prince Antoine à Olozaga, qui venait d’arriver et dans laquelle était inclus le texte de la renonciation de ce prince au nom de son fils. Il existait au ministère de l’Intérieur un service spécial chargé de prendre copie de toutes les dépêches traversant Paris, y arrivant ou en partant, qui, malgré leur caractère privé, étaient de nature à intéresser la paix publique. La dépêche du prince Antoine ayant ce caractère avait été copiée, et Chevandier me l’envoyait en même temps qu’à l’Empereur et à Gramont.

Je revins vivement sur mes pas pour donner la bonne nouvelle à ma femme, et je repris ma route. Quelques doutes m’assaillirent. Que signifiait cette renonciation qui tombait tout à coup du ciel ? Était-elle sérieuse ? N’était-ce pas une mystification de l’agiotage ? Pourquoi Olozaga, avec lequel j’avais des relations journalières, ne me l’avait-il pas fait pressentir ? L’Empereur ne paraissait pas s’en douter au Conseil : la connaissait-il ? l’ignorait-il ? En avait-on parlé à Gramont ? J’écartai ces doutes. Il me parut impossible qu’un acte ainsi annoncé fût une mystification ; je le considérai comme certain. Je crus alors tout sauvé et telle fut ma joie de la paix ressaisie, telle ma crainte de la perdre de nouveau que les dispositions de combativité que j’avais manifestées dans ma note du 11 au soir fondirent sous la chaleur de la nouvelle inespérée. Il n’y avait plus à se montrer raide, mais accommodant, facile, et qu’à consolider le résultat obtenu au lieu de le compromettre. L’affaire était sûrement finie, si nous ne commettions aucune imprudence et j’en étais si heureux que, par momens, je ne pouvais pas y croire.

Toutefois il me parut que je ne devais pas divulguer le document que je tenais dans mes mains, que je relisais comme si j’allais y trouver le secret de l’événement. C’était un document