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souvent pour tel ou tel détail de conduite. Mais elles sont d’une belle et haute spiritualité. On sent qu’il est uniquement préoccupé de porter aussi haut que possible cette âme de femme qui s’est confiée à lui. Il la conduit toujours directement à Dieu, au Christ, sans l’astreindre à de petites pratiques de dévotion. Il voudrait la détacher de la terre et tourner ses espérances vers la vie future. Il la nourrit des plus nobles alimens : l’Evangile, l’Imitation, saint Augustin, saint François de Sales, Fénelon ; jamais Bossuet, auquel il ne pouvait pardonner son gallicanisme. Ce sont aussi des lettres d’ami, d’un ami attentif et dévoué, mais elles sont d’une sobriété de ton parfaite. Jamais on n’y relève une de ces expressions empruntées à la langue mystique que la malignité publique est si prompte à mal interpréter lorsqu’elle les découvre sous la plume d’un prêtre. La mesure et la dignité y sont toujours, en même temps que la sollicitude et la tendresse. Il entre avec intelligence et compassion dans les peines de celle à qui il écrit. Soit qu’avec sa nature ardente et exigeante, elle se forge des chagrins un peu imaginaires, soit au contraire qu’elle se trouve en butte aux véritables épreuves de la vie, il s’efforce de la réconcilier avec la souffrance et de lui en faire apprécier le mérite :


Si j’étais près de vous, je vous parlerais d’une grande loi à laquelle on fait en général bien peu d’attention et que j’admire d’autant plus que j’y réfléchis davantage ; c’est la loi de souffrance sans laquelle il n’y a rien de beau, de grand, ni même de véritablement doux. Le bonheur n’attache point les hommes les uns aux autres. Il faut qu’ils aient souffert ensemble pour s’aimer autant qu’ils sont capables d’aimer. Dans les arts, dans les lettres, dans le monde, toujours et partout la joie est stérile ; c’est la douleur qui enfante presque tout ce que les hommes admirent, et la vertu, qui est la beauté par excellence, se perfectionne par la souffrance, dit saint Paul. Heureux ceux qui pleurent ! Il y a plus de vérité dans cette parole et plus de consolation réelle que dans les innombrables traités des philosophes sur le souverain bien. »


Lamennais ne pousse pas cependant le mysticisme au point de ne pas compatir aux vraies douleurs. En 1829, Mme Cottu fut atteinte d’une des plus cruelles épreuves que puisse connaître une mère, la perte d’une petite fille de six ans. Cette épreuve fut pour elle d’autant plus cruelle qu’elle traversait à ce moment une période de tiédeur et de trouble religieux. Elle se plaignait du coup qui l’avait frappée ; elle voulait transpercer du regard