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O quando lucescet tuus
Qui nescit occasum dies,
O quando sancta se dabit
Quæ nescit hostem patria.


Quelques-unes des lettres de Lamennais semblent un écho de cet hymne. C’est ainsi qu’un soir, après avoir relu les lettres d’Henry Morman et beaucoup pleuré, il écrivait à Mme Cottu :


Ces souvenirs trop vifs me sont mauvais ; ils affaiblissent l’âme, qui n’a pas trop de toutes ses forces pour remplir les devoirs que Dieu lui impose. Il est quelquefois dangereux de trop arrêter ses regards sur l’autre vie, à cause du dégoût que celle-ci inspire. Quand le cœur se sent attiré avec une certaine force au-delà du tombeau, tout l’homme défaillit (sic), et il devient inutile sur la terre. Après tout, ce ne sera pas long, et nous pouvons bien attendre le moment marqué par la Providence. L’essentiel est qu’il nous trouve préparés.


Et dans une autre lettre :


Pendant que nous sommes sur cette pauvre terre, nous ne saurions en détacher tout à fait nos pensées et nos affections, et même nous ne le devons pas, car il y a des affections qui sont des devoirs. Mais notre cœur doit lier les deux mondes, le monde passager de l’exil et celui qui nous est promis pour l’éternité. Toutes les créatures nous échappent ; elles nous quittent, ou nous les quittons. Dieu seul est là toujours, toujours, pour remplir ce vide immense que chacun de nous sent en lui-même. C’est en lui qu’il faut se chercher, car ce n’est qu’en lui qu’on se trouve pour jamais. Ne nous laissons point aller aux illusions du temps ; ce rêve finira. Qui que nous soyons, jeunes ou vieux, nous touchons au réveil ; et puis, si nous le voulons, la lumière qui ne s’affaiblit point, la paix que rien n’altère, le repos que rien ne trouble, la joie qui ne tarit jamais…


Ce mélange de sensibilité et de violence, de mysticisme et d’âpreté, c’est tout. Lamennais. Qui ne l’a pas étudié sous ce double aspect ne le connaît pas. Ces premières lettres de 1818 à 1830 le montrent surtout sous le côté sensible et mystique. Nous allons le voir apparaître sous son côté âpre et violent.


V

La Révolution de 1830 devait séparer Lamennais et Mme Cottu matériellement d’abord, et, au bout de quelques années, bien davantage encore moralement. Le baron Cottu était un ardent légitimiste. Blessé au plus profond de ses convictions par