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l’avènement d’un souverain qu’il ne considérait pas comme légitime, il ne se contenta pas de donner sa démission de conseiller à la Cour royale : il émigra avec femme et enfans, et s’établit à Lausanne, d’où il s’obstina à ne point revenir pendant six ans. Lamennais, au contraire, qui était à la Chênaie, accourait à Paris et se jetait à corps perdu dans le mouvement. Il appelait à lui Lacordaire et Montalembert. Au mois d’octobre suivant, tous trois ensemble fondaient l’Avenir.

L’Avenir : quels souvenirs ce mot seul réveille ! A quelles polémiques la campagne de l’Avenir n’a-t-elle pas donné lieu dans l’histoire du mouvement catholique français au siècle dernier ! Ce n’est pas ici le lieu de renouveler ces polémiques, ni de faire le départ entre celles des doctrines de l’Avenir qui ont été définitivement condamnées par l’Eglise et celles qui ont été simplement blâmées comme téméraires et inopportunes. Il est cependant une réflexion à laquelle il est impossible de se dérober : c’est que telle attitude, telle tactique, telle ligne de conduite qui, à une certaine époque, ont été considérées comme téméraires, peuvent, avec les années, être à ce point imposées par les circonstances qu’on ne puisse point en concevoir d’autres. Lorsque, au lendemain de la Révolution de Juillet, les rédacteurs de l’Avenir conseillaient aux catholiques de ne plus compter désormais sur l’appui du gouvernement, de se placer sur le terrain du droit commun et d’employer pour la défense des intérêts catholiques les armes que tout pays libre met ou devrait mettre à la disposition des citoyens, la presse, la parole, la liberté d’association et d’enseignement, ils ne faisaient pas autre chose que jeter sur l’avenir (on peut le dire sans jeu de mots) un coup d’œil prophétique, car c’est à l’emploi de ces armes que les catholiques ont dû autrefois leurs succès et qu’ils confient aujourd’hui leur défense. Lacordaire et Montalembert ont donné l’exemple de se servir de ces armes, avec quel éclat, chacun le sait. Il ne serait pas équitable d’exclure Lamennais de la reconnaissance qui leur est due.

Si l’on veut jusqu’au bout être équitable vis-à-vis de Lamennais, il faut encore tenir compte des procédés dont il a été fait usage vis-à-vis de lui. Léon XII, qui l’avait accueilli à Rome avec beaucoup de bienveillance et qui se proposait, a-t-on cru, de le faire cardinal, disait de lui : « C’est un homme qu’il faut conduire avec la main dans son cœur. » Le cœur a fait