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l’immortel séjour de la paix. « Non, lui ai-je dit dans toute l’émotion de mon cœur, non, il n’y aura rien dans votre vie nouvelle qui vaille, même pour le temps, cette vie admirable qui était la vôtre. » Je ne sais si je l’ai attendri, mais du moins ne l’ai-je pas blessé, ni même alors embarrassé. Il y a eu quelque chose de constamment doux et triste dans son regard, pendant cette période de notre conversation. — Il m’a beaucoup parlé de la conduite de la cour de Rome à son égard. « En taxant d’hérésie ma doctrine de l’autorité, elle m’a forcé à l’examen. Je voulais fermer les yeux : ce n’est pas ma faute si, m’obligeant à les ouvrir, j’y ai vu clair… » Certes, ce n’était pas là la conséquence des objections qui lui furent alors opposées ; mais certes aussi, il y a eu grande maladresse et peut-être un coupable mouvement des passions envieuses dans la conduite de quelques membres du haut clergé envers cet illustre accusé.


Mme Cottu quitta Lamennais plus découragée que jamais. Rencontrant une église sur sa route, elle y entra et répandit son âme dans une ardente, prière :


A genoux devant Dieu, toute pleine du spectacle de l’insuffisance des dons les plus élevés quand la foi se retire d’eux, je ne pouvais que répéter : O mon Dieu ! laissez-moi la foi ! la foi toute nue, sans une pensée au bout de ce mot je crois ! Que je croie toujours, et de plus en plus fermement : tout le reste n’est que vanité et péril. — Puis, me repliant sur le passé ; c’est du flambeau de son génie, me disais-je, qu’est tombée dans mon âme la première étincelle de foi. C’est sous les ailes de ce génie que j’ai vécu d’une vie nouvelle, tout animée par lui, et régularisée par les mouvemens de la sienne, dans une union si intime qu’elle en semblait inséparable. Par quelle merveille de votre grâce, mon Dieu, n’ai-je pas trouvé la mort sur son cadavre ? Ensuite, ma pensée s’est transportée au redoutable moment où cette grande âme comparaîtrait devant le divin juge, et aurait à lui rendre compte de l’usage qu’elle avait fait de sa haute intelligence, de ses facultés si ardentes, du don d’entraîner et d’émotionner, de convaincre par toutes les forces de l’esprit, de persuader par tous les attraits de la plus suave action. Et je tremblais que la sentence portée contre le mauvais riche ne lui fût trop applicable. Alors, je me suis figuré un groupe d’âmes, parmi lesquelles je voyais la mienne, déposant comme témoins à décharge, en faveur de ce grand accusé, et demandant grâce pour celui qui avait été le premier instrument de leur salut. Se pourrait-il, mon Dieu, que leurs supplications ne touchassent pas votre miséricorde ; et s’il en doit, être ainsi, donnerez-vous à ces âmes, jadis éclairées par lui, une triste puissance d’ingratitude, et d’oubli, qui les rende indifférentes à son supplice ? Hélas ! je reculerais, ce me semble, devant ce douloureux bienfait, de cesser d’aimer, de cesser de plaindre celui que j’ai tant aimé, celui que je plains d’une pitié si tendre ! Ah ! du moins, tant qu’il m’est permis, tant qu’il m’est commandé même de lui conserver cet attachement et cette reconnaissance, je m’efforcerai de les lui rendre et doux et profitables, n’imitant point ces froids amis qui n’ont pas su veiller et prier une heure, près de leur ancien maître.